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1 - La Grèce antique

L’ÉPOQUE ARCHAÏQUE : LES SIÈCLES OBSCURS

Lorsque la culture de l’âge du bronze mycénien fut détruite par les conflits internes et les attaques extérieures en Grèce, tout pouvoir centralisé disparut. Les Doriens, envahisseurs nomades venus du Nord, conquirent la Grèce continentale et les îles de la mer Egée, et s’y installèrent. Les villes ioniennes des côtes est de la mer Egée se prétendaient fondées par des Grecs fuyant les envahisseurs doriens, mais il semble que la plupart des Grecs avaient accepté leurs nouveaux suzerains barbares. 

On sait peu de chose du développement de la Grèce durant ces trois siècles. Les habitants vivaient en petites colonies dispersées et toute structure d’un grand Etat était éradiquée. Chaque colonie était dirigée par un basilei local (seigneur de guerre ou roi) et, grâce à un système de protection analogue au féodalisme de l’Europe médiévale, il protégeait les paysans qui travaillaient dans ses champs. Pour le commun des Grecs, la vie avait peu changé depuis l’ère mycénienne. lls vivaient déjà sous un féodalisme à l’époque des rois de l’âge du bronze de Mycènes et d’autres cités fortifiées. 

Leurs habitations étaient des masures en brique ou en boue, groupées autour de la citadelle fortifiée du basilei et de ses guerriers. Comme toujours, la vie était rude, mais la seule différence était l’absence d’une classe d’artisans capables de concevoir des céramiques décoratives, de travailler les métaux ou de créer de beaux objets. La résurgence de cette classe moyenne permettra aux Grecs de sortir des siècles obscurs. 

Curieusement, la seule exception était le travail des métaux, dont les Doriens connaissaient le secret. Au début du 1er millénaire, la Grèce était entrée dans l’âge du fer : la fusion et le travail du fer permirent de remplacer les armes en bronze par des armes en fer, plus solides, et la production d’armes devint la priorité des forgerons grecs des siècles obscurs. 

Plus économique à produire et à travailler que le bronze, le fer fut de plus en plus utilisé et populaire. Si les armes, les armures et les objets, de luxe en bronze avaient été réservées à l’élite, bientôt le fer servit à la fabrication de toute une gamme d’objets, des armes aux outils.  

A cette époque d’instabilité et de guerres quasi permanentes, les communautés dispersées n’étaient en sécurité que si leur basileus était assez puissant pour résister aux attaques incessantes. Les chefs de guerre des siècles obscurs grecs faisaient de fréquentes incursions sur les territoires de leurs rivaux, par terre ou par mer pour s’approprier le bétail et les hommes de leurs voisins affaiblis. Dans une société sans économie structurée, la richesse se mesurait au nombre d’esclaves et de têtes de bétail. La façon la plus simple de s’enrichir était donc de s’emparer du bien d’autrui à la pointe de l’outil. 


Durant cette période instable, la population grecque réussit cependant à se disperser en fuyant les envahisseurs. De nouvelles communautés s’installèrent à travers le bassin égéen. Sur la côte ouest de l’Asie Mineure (bande côtière connue sous le nom de Ionie) et à Chypre. Tout en conservant la culture de la Grèce, ces immigrés purent rester relativement indépendants. Les individus qui formaient ces communautés, unies par un passé culturel commun, se considéraient comme des Grecs civilisés, statut qui ne revenait pas à leurs voisins « barbares », assimilés aux Doriens. 


Ainsi, quand certains basilei se montraient plus habiles que d’autres dans l’art de piller et d’amasser les richesses (du moins le bétail et les esclaves), leur prestige augmentait en même temps que leur communauté. Au IXe siècle, certains seigneurs de guerre se trouvaient à la tête de groupes suffisamment importants qui permirent la fondation en quelques siècles, des premières cités-États, donc des bases de l’unité politique qui allait régir la Grèce pour le reste de cette période. 

LE DÉVELOPPEMENT DU MONDE GREC : LA NAISSANCE DE LA CITÉ GRECQUE

Tous les Grecs ne vivaient pas en cité. Les Grecs vivant au nord n’ont pas intégré immédiatement la notion de cité. Sur la question de la date de l’apparition de la notion de cité, on a deux tendances. Tout d’abord, il y a ceux qui pensent que cela apparaît à l’époque archaïque et ensuite, ceux qui penchent pour une apparition dans le courant du deuxième millénaire, à l’époque mycénienne, avec une idée de continuité avec la suite. 

On a peu de sources sur la naissance de la cité. Le plus ancien témoignage que l’on ait est une loi datant du VIIIe siècle, trouvée en Crète indiquant : « Voilà ce qu’a décidé la cité (polis) ». Dans l’Iliade, on ne parle pas de cité, mais d’un monde structuré par les oikos, dont le chef est un aristocrate. Dans l’Odyssée, on parle de quelque chose qui ressemble à une cité. Le mot même de cité apparaît pour désigner la population et les bâtiments (l’agglomération). On parle également d’un lieu de rassemblement : l’Agora. L’Odyssée est contemporaine de la naissance des cités, en datant du VIIIe siècle. 

Comment expliquer cette naissance ? Après les « siècles obscurs », on voit apparaître une nouvelle organisation de l’espace avec une plus grande place faite aux dieux dans l’espace de la ville ou autour de la ville. Au VIIIe siècle, il y a un changement dans le mode de sépulture avec des jarres qui servent de tombe. Un certain nombre de facteurs ont joué dans la naissance des cités. Il y a tout d’abord le facteur démographique. Au VIIIe siècle, la population relative aurait été multipliée par sept, mais rien ne le prouve. C’est surtout le VIIe siècle qui est marqué par une explosion démographique. De cela, découle le phénomène de la colonisation. 

Viennent ensuite les facteurs religieux. Les cultes jouent un rôle important à l’époque archaïque. Ils servent à marquer l’existence d’une communauté. On a l’exemple du sanctuaire de l’Héraion, le plus important de la cité d’Argos, qui ne se trouve pas dans l’agglomération mais aux confins du territoire, à proximité de cités voisines et concurrentes, telle que Sparte dont elle est une grande rivale. Il se trouve à huit kilomètres de la cité d’Argos. 

L’autre grand thème qui apparaît à l’époque archaïque, c’est celui du héros fondateur. Les cités décident de se choisir une divinité propre, mineure pour le reste du monde grec, mais qu’elles considèrent comme leur « père ». On a l’exemple de la cité de Mégare, située entre l’Attique et le Péloponnèse, qui s’est choisie Alcathoos comme héros fondateur. Ce dernier a rendu des services à la cité en tuant une bête sauvage qui terrorisait la cité. De plus, il a délimité et pacifié l’espace de la cité. En réalité, ce n’est pas un héros fondateur mais un bienfaiteur.

On trouve enfin le facteur militaire. La naissance de la cité grecque se fait en même temps que l’évolution des techniques militaires. On trouve chez Homère, dans l’Iliade, la forme traditionnelle du combat qui consiste en un « duel aristocratique ». À l’époque archaïque, on voit apparaître une nouvelle manière de combattre qui vise à opposer deux régiments d’infanterie lourde l’un contre l’autre, ce qui est assez sommaire sur le plan tactique. Ces régiments sont les phalanges hoplitiques. Cette phalange a joué un rôle dans l’émergence de la cité. Elle a changé les rapports sociaux. Dans cette configuration, le nombre compte beaucoup. Plus on est nombreux et plus on a de chance de gagner. Il faut compter avec les autres et accepter de renoncer au glorieux combat aristocratique pour se fondre dans la masse. Le but de l’hoplite, est de rester dans sa ligne et d’avancer avec les autres. Il y a une nouvelle discipline et une nouvelle éthique. Il est nécessaire que chacun joue le jeu. Le bouclier, l’aspis koilè, joue un rôle essentiel. Chaque hoplite est pourvu de son bouclier qui est supporté par l’avant-bras gauche. Ainsi, il se protège, mais protège également le côté droit de son voisin. La moindre défaillance peut entraîner la chute de la phalange.

Cette nouvelle formation interdit les comportements individuels et exige qu’un plus grand nombre d’hommes participent au combat. Elle les soumet à une même loi, celle d’Isonomie. Cela pousse à la formation d’une communauté.

La localisation initiale des cités grecques
À l’origine, il s’agit du monde égéen, qui allie la mer et la montagne. La mer est toujours toute proche. En effet, aucun point n’est à plus de cent kilomètres de la mer. Les grecs restent fondamentalement un peuple de marins (voyages et commerces). La moyenne montagne est importante et il y a peu de haute montagne. L’altitude moyenne est de 1500 mètres. Un certain nombre de cités s’y sont installées.

Les plaines sont rares dans le bassin égéen. La moyenne montagne permet la culture en terrasse et la chasse. Des hommes peuvent y vivre et y prospérer. Les cités ne sont pas de taille importante à l’époque classique. On en trouve en Grèce continentale. D’abord en Béotie, avec Thèbes, qui constitue une Ligue béotienne autour d’elle. En Eubée, avec les cités de Chalcis et d’Érétrie, et dans le Péloponnèse, avec Sparte, Argos et Corinthe, cette dernière ayant été une grande cité commerçante à l’époque archaïque.

On trouve d’autres cités également dans les archipels égéens, par exemple la cité de Délos, sur l’île éponyme de 14 kilomètres carrés, célèbre pour son sanctuaire d’Apollon, les cités de Crête, île que l’époque classique a tendance à mettre en marge du monde grec.

On trouve enfin toutes les cités qui se sont installées sur la longue côte de l’Asie mineure. Ainsi, il y a les cités d’Ionie, avec Milet qui fut regardée comme une grande cité grecque. Elle attire la convoitise des Lydiens et des Perses. Enfin, il y a les cités de Carie, une région qui joue un grand rôle au IVe siècle av. J.-C..  

Acropole d'Athènes
1. Pyrgos du temple d’Athèna Nikè2. Temple d’Athèna Nikè
3. Piédestal du monument d’Agrippa4. Rampe d’accès aux propylées
5. Propylées6. Propylées (aile nord)
7. Propylées (aile sud)8. Téménos d’Artémis Brauronia
9. Téménos d’Athèna Erganè10. Chalcothèque
11. Athèna Promachos12. Parthénon
13. Temple de Rome et d’Auguste14. Hérôon de Pandion (?)
15. Remise (?)16. Autel de Zeus
17. Autel d’Athéna18. Erechtéion
19. Cecropion20. Pandroseion
21. Ancien temple d’Athéna22. Maison des Arrhéphores
23. Cour du jeu de paume24. Escalier mycénien
25. Escalier vers le chemin circulaire26. Logements, locaux administratifs,


Les Rivalités des cités

À la différence de la plupart des cités-États, Sparte était gouvernée par un monarque, soutenu par une puissante armée. Les Spartiates se considéraient comme les descendants directs des Doriens, dont ils avaient le tempérament belliqueux. Au VIle siècle, Sparte était la Cité-État la plus puissante de la Grèce du Sud. 

Les Doriens et leurs successeurs les Spartiates conquirent la Laconie, au sud du Péloponnèse, réduisirent en esclavage une partie de la population et s’emparèrent du pouvoir dans la région. Les esclaves (hzlotes) furent contraints de travailler dans des fermes de l’État qui approvisionnaient la monarchie, l’oligarchie, l’administration et l’armée de Sparte. Le reste des Lacédémoniens constituait les périèques, proches des serfs médiévaux, qui remplissaient les contingents de l’armée spartiate. À la fin du VIle siècle, Sparte avait conquis la Messénie voisine, ce qui lui offrait le contrôle de tout le sud du Péloponnèse. Au VI’ siècle, le pouvoir de Sparte s’étendait sur l’ensemble du Péloponnèse. La confédération de Sparte est due à un jeu d’alliances et de diplomatie. La ligue du Péloponnèse (ou plutôt les Lacédémoniens et leurs alliés, comme disaient les Spartiates) constituait la plus vaste unité politique du monde grec et inquiétait les États voisins qui se sentaient menacés. 

La première offensive sérieuse lancée par la ligue du Péloponnèse eut lieu en 511. Le tyran Pisistrate et son fils gouvernaient Athènes depuis près d’un demi-siècle lorsqu’un conflit avec Sparte déclencha la guerre. À la tête d’une armée spartiate, le roi Cléomène pénétra en Attique, chassa la famille du tyran et prit provisoirement le pouvoir à Athènes. Les Athéniens se soulevèrent et assiégèrent Cléomène et sa petite armée retranchés dans l’Acropole. Cléomène dut capituler sans gloire et, lorsqu’il rentra chez lui, il mobilisa toute la ligue du Péloponnèse contre Athènes. À cette époque, deux rois héréditaires gouvernaient simultanément Sparte. Accompagné de son collègue Demarate, Cléomène retourna en Attique à la tête d’une puissante armée. Thèbes et Chalcis, voisines de l’Attique, firent rapidement alliance avec Sparte. 

Au moment où Athènes était menacée de destruction, une dispute entre les deux rois affecta les petits États de la ligue. La majorité déclara que la guerre n’était qu’une revanche personnelle de Cléomène, et rappelèrent leurs troupes. La machine de guerre spartiate avait été enrayée par des divergences d’opinion, et sans doute par des tentatives de corruption dues aux Athéniens. Tirant avantage de la situation, l’armée athénienne marcha vers le nord, battit Thèbes, et Chalcis dont elle fit un État fantoche colonisé. 

Hoplite Athénien 

Hoplite Spartiate 

Tandis que la guerre se poursuivait encore au début du Vc siècle, Athènes s’était remise de la menace et armait ses troupes. En réponse à une alliance entre Thèbes et l’île d’Égine, les Athéniens décidèrent de créer une flotte. Tout était prêt pour un éventuel combat entre l’empire militariste de Sparte et l’empire maritime d’Athènes: la guerre du Péloponnèse allait fortement ébranler le monde grec. Alors que les cités-États continuaient à se battre entre elles et à faire et défaire les alliances, ces conflits seraient de plus en plus dominés par les deux plus puissantes cités-États de l’ancien monde grec. 

La rapide expansion de Sparte - une petite cité-État qui était devenue la puissance dominante du Péloponnèse - portait en elle le germe de sa destruction. Après la prise d’Hélos, en Laconie, les populations des villes capturées furent réduites à l’état d’hilotes, ce qui entraîna un déséquilibre social dans la région. Pourtant, l’économie de Sparte ne pouvait survivre que de cette manière: le travail des esclaves soutenait l’effort militaire. 

Les hilotes étaient beaucoup plus nombreux que les citoyens de Sparte, et un soulèvement était toujours possible, malgré la sévérité des châtiments en cas de révolte. Les Spartiates étaient entourés d’esclaves qui les haïssaient, et les sentiments de leurs alliés à leur égard n’étaient guère plus positifs. L’armée maintenait le pouvoir de Sparte, et lorsqu’elle commença à faiblir après la coûteuse victoire de la guerre du Péloponnèse, le déclin de Sparte ne fit plus de doute. 

LA COLONISATION ET LE COMMERCE

La colonisation n’est le fait que des VIIIe et VIIe siècles. On appelle par là le fait que la forme de la cité se diffuse dans l’ensemble du bassin oriental et occidental de la Méditerranée (Massilia, l’actuelle Marseille ; Nikaia, l’actuelle Nice). Ce phénomène s’arrête à la fin du VIIe siècle. 

D’abord, ces cités apparaissent en méditerranée orientale sur la côte de la Libye actuelle, avec Cyrène et deux comptoirs en Égypte, celui de Naucratis étant le plus important. Au VIIe siècle, beaucoup de fondations ont lieu dans la mer Égée ou la mer Noire, comme Byzance, fondée en 660. À l’Occident, les cités grecques se retrouvent surtout en Sicile, particulièrement hellénisée, en Italie du Sud ou vers l’extrême Occident (Massalia). 

La géographie a eu son rôle et certaines cités ont été plus colonisées que d’autres. La Sicile a été peuplée par des colons de Chalcis et de Corinthe. Les côtes de la mer Noire ont été colonisées par la cité de Milet qui y a fondé près des 75 cités, dont celle de Théra. On sait par le poète Archiloque que cette colonisation ne s’est pas faite pacifiquement, mais avec des combats : les Thasiens, les habitants de Thasos, ont dû combattre les indigènes pour s’imposer. Le choix d’un site se fait en fonction du commerce et ces cités sont souvent établies pour le commerce. 

Pour fonder une colonie, le procédé est toujours le même. Dans une cité qui n’arrive plus à nourrir sa population, on monte une expédition. On demande son avis à l’oracle de Delphes et on part sur la route conseillée, sous le commandement de celui qui a demandé l’oracle. Ainsi, la colonie de Cyrène a été fondée par celle de Théra. Hérodote a recueilli les deux versions, qu’il faut compléter avec une inscription, « Le serment des fondateurs ». Ce fut une fondation très difficile qui n’a réussi qu’après plusieurs tentatives pour trouver le chemin de l’Afrique. Sous la direction de l’oïkiste Battos, les gens de Théra sont partis « entre hommes », et ont trouvé les femmes sur place. Les Serment des fondateurs montre que les choses se sont faites dans la douleur. On tire au sort pour le départ un colon ainsi qu’un fils dans toute famille ayant plus de deux héritiers mâles, avec l’interdiction formelle de revenir sous peine de lapidation. La cité de Cyrène est devenue très riche grâce aux céréales, aux chevaux, la laine et les bœufs. 

Ces fondations ont plusieurs conséquences. Tout d’abord, cela entraîne la prospérité grâce au commerce. Par exemple, la cité d’Égine, qui n’a pas fondé de colonie, devient très puissante en commerçant avec les colonies d’occident et de la mer Noire. 

Les Grecs ont pris l’habitude de fonder des cités. Ils estiment avoir toute la place disponible et utilisent la géographie pour la cadastration (on en a retrouvé des traces en Sicile). Ces fondations se font dans un cadre hostile. Cela entraîne une nécessaire solidarité et les citoyens ont du faire preuve de cohésion les uns avec les autres. Les effets dérivés de la colonisation, sont la mise en contact des colons avec des populations dites barbares qui peuvent être plus avancées qu’eux sur certains points.  

Une autre conséquence de la colonisation, c’est l’acquisition de l’alphabet. Dans le paragraphe 58 du livre V, Hérodote rapporte que l’alphabet vient des Phéniciens et que les Grecs l’ont adopté. L’inscription la plus ancienne date de 750–700 et se trouve sur une coupe à boire, à Ischia, dans la baie de Naples. Cette écriture a été d’emblée utilisée dans un cadre séculier et pas exclusivement sacré. 

Cela a plusieurs conséquences. On voit apparaître la poésie écrite, des traités de réflexion et la possibilité de transcrire les lois. À Athènes, en 625, Dracon fait transcrire un code de loi, utilisé par la suite par les Athéniens. Enfin, les textes peuvent être transmis d’une génération à l’autre. 

Enfin, la dernière conséquence de la colonisation est l’acquisition de la monnaie, qui n’est pas une invention grecque, mais une invention barbare du roi de Lydie Crésus, qui a été étroitement en contact avec les cités grecques au VIe siècle. Il est vaincu en 546 par le roi Perse Cyrus. Chaque cité grecque s’est emparée de cette notion pour frapper sa propre monnaie, afin de marquer leur existence. À l’époque archaïque, les cités grecque frappe monnaie de manière irrégulière selon leurs besoins, militaires par exemple, lorsqu’il faut payer des mercenaires. Chaque cité appose un signe particulier sur la monnaie qu’elle frappe, l’épicène, qui permet de la reconnaître. Pour Athènes, c’est une chouette. La notion de monnaie est intéressante. Elle est utilisée comme étalon de valeur. Adopter la monnaie, c’est proposer une solution à la crise des valeurs du VIIIe et du VIIe siècle. Cela explique la fortune de cette institution dans toute l’histoire grecque. 

Ces cités sont traversées par des conflits. L’héritage de l’époque archaïque, c’est l’invention de la politique. 

L’INVENTION DE LA POLITIQUE

Les problèmes sociaux des cités grecques

Ces cités sont traversées par de graves conflits internes. Ce monde est en crise pour une raison simple. Aux VIIe et VIIe siècles, il y a trop de bouches à nourrir, il y a trop d’hommes. Ceci est un facteur de problèmes politiques et de guerre civile. 

A cela s’ajoute une crise agraire. Les terres sont concentrées dans les mains de quelques grandes familles aristocratiques. Une partie de la population se trouve dans un état proche de la servitude, pour cause de dettes par exemple. Deux revendications naissent. On réclame l’abolition des dettes et le partage égalitaire des terres. Mais ces deux revendications sont inadmissibles pour les familles aristocratiques qui gouvernent les cités. Ceci nous est connu par la Constitution des Athéniens : « Avant les législations de Dracon et Solon dominaient les grandes familles aristocratiques ». 

Cela rencontre la notion d’Isonomie, qui consiste en l’égalité politique. 

La naissance des régimes politiques

L’une des premières revendications du dêmos fut, dans de nombreuses cités évoluées, celle d’une législation soustraite à l’arbitraire des aristocrates, donc écrite. Ainsi s’explique le mouvement des législateurs qui prétendaient, par l’établissement de lois (nomoi), assurer le triomphe de la justice. 

Ainsi firent les aisymnètes (présidents de commissions juridiques) dans les riches cités grecques d’Asie Mineure (Epimènes de Milet, Pittacos de Mytilène ou Aristarque d’Ephèse), Charondas de Catane et Zaleucos de Locres en Occident, Dracon en 621 puis Solon au début du VI e siècle à Athènes et, beaucoup plus tôt peut-être, Lycurgue à Sparte. Loi attribuée à ce dernier, la “grande rhêtra” (la Grande Loi), devait, pendant des siècles, fixer le destin d’une communauté élargie de citoyens - les “Egaux”, ou plus exactement les “Pairs” - consacrant leur vie à la défense et à la politique de la cité pendant que des dépendants, les hilotes, cultivaient la terre civique et que les périèques s’autoadministraient aux marges de la cité. 

La tyrannie 

Ailleurs, les troubles sociaux permirent à un homme seul, souvent appuyé sur le dêmos (le peuple), d’arracher le pouvoir à l’aristocratie et d’instaurer un régime fort. Le terme de tyrannie n’implique, à l’origine, aucun jugement de valeur sur l’exercice du pouvoir, mais qualifie simplement un pouvoir absolu, établi et maintenu en dehors de toute légalité constitutionnelle. Il n’y a pas de schéma unique de la tyrannie. 

Thucydide remarquait déjà un lien entre la tyrannie et l’accroissement des richesses dû aux échanges, et, à l’appui de sa démonstration, il citait Samos (avec son tyran Polycrate), Phocée (pour laquelle la tradition n’a pourtant conservé le nom d’aucun tyran) et Corinthe (avec les Cypsélides). L’exemple de Sicyone, avec la tyrannie des Orthagorides, montre comment peuvent intervenir également les facteurs ethniques, du moins avec Clisthène (grand-père du réformateur athénien), qui, à l’aube du VIe siècle, s’appuie sur le peuple dans sa lutte contre l’aristocratie. 

Monnaie d’argent d’Athènes, Ve siècle av. J.-C. 

Aux confins du monde grec, enfin, il ne fait aucun doute que la menace des Barbares accroît le besoin d’un pouvoir fort. A Samos, Polycrate se veut ainsi le champion de la lutte contre les Perses, et, à Syracuse, la tyrannie des Déinoménides joue sur le danger indigène, et plus encore carthaginois. C’est le cas de Gélon, au début du V e siècle, et, en 405, de Denys l’Ancien. Mais cette tyrannie des Déinoménides, d’ailleurs tardive, fait figure d’exception. 

LES COLONIES GRECQUES

L’expansion coloniale 

Les causes de l’émigration qui, en un peu moins de deux siècles, aboutit à la création d’établissements grecs sur tout le pourtour de la Méditerranée, de la Propontide à la Gaule, sont, d’une part, la sténochoria (“exiguïté des terres”) et, d’autre part, les nécessités d’un commerce renaissant, comme le prouvent les premiers comptoirs grecs: Al-Mina, en Orient, dès 800, les îles Pithécusses, non loin de l’Etrurie riche en fer, vers 775, en Occident. Apoikia, traduit conventionnellement par “colonie”, signifie simplement “émigration” et se révèle tout à fait étranger aux notions de dépendance et de complémentarité économiques qui accompagnent la colonie au sens usuel du terme. 

Dans tous les cas, les colons partent sous la direction d’un oikiste (qui, à sa mort, fait l’objet d’un culte héroïque); ils chassent ou asservissent les indigènes, ou dans le meilleur des cas (Mégare Hyblaia en Sicile) reçoivent d’eux un territoire. Ils installent alors la flamme emportée du foyer de la cité mère et les dieux garants du succès de l’entreprise (l’Apollon de Delphes, souvent consulté avant le départ, est ainsi honoré sur tous les rivages de la Méditerranée). 

Mais, si les liens religieux restent forts entre métropole et colonies, aucune dépendance n’est décelable. Il arrive même que la cité nouvelle l’emporte, plus tard, en puissance et en renommée sur la cité fondatrice (ainsi connaît-on mieux Syracuse que Corinthe).  

Les premières fondations 
A partir de 775, les fondations concernent la Grande-Grèce et la Sicile. Mais, dès le VIIIe siècle avec la Chalcidique de Thrace, le monde grec s’étend vers le nord-est; au VIIe siècle, il gagne la Thrace, l’Hellespont, le Pont-Euxin, ainsi que l’Egypte (où un seul comptoir est concédé aux Grecs: Naucratis) et la Cyrénaïque.

L’origine des colons s’est diversifiée (beaucoup plus de Grecs des îles et d’Asie). Vers l’ouest, les Phocéens commercent en Espagne et en Gaule: en 600, ils fondent Massalia (Marseille). Les colonies ainsi créées constituent souvent de véritables laboratoires d’expériences. Le territoire agricole de certaines fondations (Métaponte) est cadastré en lots réguliers, et cette division des terres en lanières semble avoir dicté l’organisation de la ville en îlots allongés et réguliers (qui préfigurent le système dit “hippodamien”, du V e siècle).

Le rayonnement des colonies 
Si cette égalité dans la répartition des lots semble voulue au départ (avec une part importante de terres restées collectives), elle est vite perturbée par l’arrivée de nouveaux colons ou par la concentration foncière: au VI e siècle, déjà, les aristocrates de Syracuse portent le nom de gamoroi: “ceux entre qui on a partagé la terre”. 

Cratère corinthien, chasse au sanglier de Calydon

Ces premiers cadastrages n’en restent pas moins à l’origine de l’urbanisme grec, et, en bien des domaines, le succès de ces cités, souvent plus vastes et plus riches que celles de Grèce propre, a donné des dimensions imprévues à l’hellénisme. Le prouvent l’importance historique de Syracuse ou de Tarente et le rôle de modèle reconnu par les Grecs aux législateurs des cités coloniales (Zaleucos de Locres ou Charondas de Catane). Le prouvent, plus matériellement encore, les trois aires sacrées de Sélinonte, la terrasse des temples d’Agrigente ou les trois temples magnifiquement conservés de Poseidônia-Paestum.

L’implantation grecque en Italie du Sud et en Sicile 
L’implantation grecque en Italie méridionale et en Sicile est le fruit d’un vaste mouvement de colonisation, qui est d’abord le fait des habitants de l’Eubée. Vers 770 av. J.-C., ceux-ci s’installent à Ischia, puis fondent une autre cité à Cumes, en Campanie, en 757 av. J.-C. Mais peu après, les Chalcidiens, autre peuple grec originaire de la vaste presqu’île située au sud de la Macédoine, s’emparent de Cumes et entreprennent la mise en valeur des riches terres volcaniques de la chôra (territoire adjacent qui fait juridiquement partie de la cité). Ils entrent alors en conflit avec les Etrusques voisins, qu’ils arrivent à contenir. Mais le tyran Hiéron de Syracuse anéantit la flotte de Cumes, qui, peu après, est détruite par les Campaniens en 421 av. J.-C.

Par ailleurs, les Chalcidiens ont fondé, à peu près à la même époque que Cumes et Ischia, la cité plus modeste de Naxos, en Sicile. Les Chalcidiens ne sont pas les seuls à coloniser le Sud de l’Italie. En effet, dès 734 av. J.-C., les Corinthiens dirigés par Archias investissent le site sicilien de Syracuse, appelé à devenir la plus puissante des cités de Sicile. Les tyrans successifs de Syracuse, les Deinoménides Galéon et Hiéron I er , Denys l’Ancien et Denys le Jeune l’ornent de monuments imposants. En Italie méridionale, la plus puissante cité est Tarente, fondée par les Lacédémoniens (ou Spartiates).

A partir du VI e siècle av. J.-C., les côtes de l’Italie du Sud et de la Sicile sont bordées de cités grecques peuplées et industrieuses, tirant profit de la richesse du sol alluvial des plaines côtières; elles attirent une nombreuse émigration grecque, qui peut y pratiquer les mêmes cultures que dans son pays d’origine. Lors de la fondation de toute colonie, un chef est désigné du titre de “fondateur” (oikistès) par la cité d’origine des colons, et joue un rôle essentiel: placé sous la protection des dieux, il permet aux émigrants de surmonter les épreuves. 

Une vie intellectuelle brillante qui n’a rien à envier à celle de la Grèce se développe dans les cités de Grande-Grèce. Ainsi, à Crotone, en Sicile, le philosophe et mathématicien Pythagore fonde son école, et joue sur le plan politique un rôle considérable, que son école conserve longtemps après sa mort. Citons aussi la magnificence des monuments (basilique, VIe siècle av. J.-C.; temples d’Héra, de Poséïdon, IVe siècle av. J.-C.; temple de Cérès, fin du IV e siècle av. J.-C.). 

La richesse et l’opulence des cités de Grande-Grèce permettent à la fois l’édification de temples grandioses, parfois marqués par l’art phénicien, notamment à Agrigente et à Pæstum, et un rayonnement artistique et intellectuel considérable. Ainsi, les cités de Grande-Grèce sont les vecteurs, en Méditerranée occidentale, de la civilisation hellénique. Foyer d’échanges avec le monde latin, qui prend peu à peu son essor, les cités de Grande-Grèce voient l’apparition des premiers écrivains de langue latine, Livius Andronicus (v. 280-207 av. J.-C.) et Ennius (239-169 av. J.-C.).


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