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L'invasion anglo-saxonne

A considérer l'histoire du Ve siècle dans son ensemble, l'invasion des Saxons en Angleterre semble, au premier coup d'oeil, n'être qu'un simple épisode du grand mouvement des migrations germaniques. La Bretagne devint la proie de tribus guerrières venues de Germanie, comme la Gaule, l'Espagne et l'Italie. Mais cette ressemblance n'est qu'apparente et superficielle. On a pu en effet se demander si la Gaule avait été réellement conquise par les Francs et les Burgondes, si l'établissement des Wisigoths sur le sol de l'Espagne avait eu réellement le caractère de ce que nous appelons une conquête. Ce problème ne peut être sérieusement posé pour la Grande-Bretagne. Les Anglo-Saxons ne se contentèrent pas de soumettre les Bretons, ils les exterminèrent. La lutte entre les envahisseurs et les envahis eut le caractère d'une guerre de populations d'origines différentes et d'une guerre religieuse; aussi fut elle atroce. L'histoire de cette lutte, très mal connue, est entourée de beaucoup de légendes (Cycle de la Table ronde). 

En 449 deux rois de mer appartenant à la nation saxonne et à la tribu des Jutes, Hengist et Horsa, tous deux frères, débarquèrent par hasard sur la côte de Kent, offrirent leurs services au roi breton Vortigern qui accepta, et reçurent en récompense l'île de Thanet. Ils battirent les Pictes dans la plaine de Stamford, Mais en 455 la guerre éclata entre les Bretons et leurs hôtes. A la bataille d'Aylesford, Horsa fut tué, Hengist remporta néanmoins la victoire. Les Bretons déposèrent leur chef suprême comme suspect de trahison et le remplacèrent par son fils qui périt dans une bataille. Un chef au nom romain, Ambrosius, venu d'Armorique, tint tête quelques années encore au terrible Hengist, mais celui-ci finit par triompher et fonda le royaume de Kent qui comprenait les comtés actuels de Kent, Middlesex et une partie de Surrey. Les victoires attirent d'autres barbares. Aella en 477-490 fonde le royaume des Saxons du Sud (Sussex). En 495' Cerdic et Kenric débarquent plus à l'Ouest, et après de grands efforts créent le royaume de Wessex qui devait peu à peu absorber tous les autres. Tandis que ces bandes luttent contre le roi national et légendaire Arthur, d'autres remontant la Tamise sous le commandement d'Erkewin fondent le royaume d'Essex qui eut Londres pour capitale. 


Encouragés par l'exemple des Saxons, les Angles partirent, au milieu du VIe siècle, de la presqu'île danoise et, émigrant en masse, avec leurs femmes et leurs enfants, vinrent s'établir sur la côte Nord-Est de la Bretagne. Uffa crée le royaume d'Est-Anglie, Coeda celui de Mercie (575); enfin le plus célèbre de ces tard-venus, Ida, fonde le royaume de Northumberland ou de Bernicie, en même temps qu'un autre roi de mer nommé Ella s'établit plus à l'Ouest dans le Lancashire et organise le royaume de Deirie. Le caractère essentiel de cette conquête saxonne est la spontanéité et l'incohérence des expéditions. Si la défense fut décousue et mal organisée, l'attaque ne fut jamais conduite avec ensemble. Ainsi les Celtes paraissent avoir eu moins de vigueur individuelle que les Anglo-Saxons. Ceux-ci, dès la première heure de cette colonisation du sol britannique, se montrent implacables à l'égard des vaincus. Ils procèdent à une extermination systématique de leurs rivaux. Ce n'est pas seulement une conquête militaire qu'ils poursuivent avec leur ténacité originelle, c'est une prise de possession complète. Les Angles, une fois le chemin frayé, viennent tous; ils laissent un désert derrière eux sur leur terre d'origine. Ils emportent dans leur exode jusqu'à leurs bestiaux.


L'heptarchie

Aussi les moeurs, les institutions, les lois des AngloSaxons sont-elles tout d'abord sur le sol britannique l'image fidèle de ce qui existait, avant la conquête, sur le sol de la Basse Allemagne. Etablis en maîtres au-delà de la Manche, n'ayant à subir que dans une proportion minime l'effet des idées romaines, ces peuples restent fidèles à leurs traditions. Tandis que tous les peuples d'origine germanique, transplantés dans les autres provinces de l'ancien empire, se laissent plus ou moins imprégner par la civilisation qu'ils ont conquise; tandis que les Saxons restés sur la rive droite du Rhin sont conquis à leur tour par les Francs chrétiens, les Anglo-Saxons restent des Germains. Ils sont divisés en royaumes indépendants et souvent ennemis. C'est ce qu'on appelle la période de l'heptarchie.


En réalité, il y eut tantôt plus, tantôt moins de sept royaumes (royaumes Saxons : Kent, Essex, Wessex, Sussex; - royaumes Angles : Est-Anglie, Mercie, Northumbrie). Les plus importants de ces Etats ont été, dans les premiers siècles, ceux du Nord, habités par les Angles, ce qui explique pourquoi le nom d'Angleterre finit par l'emporter sur celui de Saxe. Mais ils parlent la même langue, et leurs institutions sociales sont identiques. Le trait essentiel de leur organisation sociale est la forte organisation de la famille. L'unité territoriale est précisément l'étendue de terre nécessaire à l'entretien d'une famille (hyde). Les familles sont réunies entre elles, soit par les liens d'une commune origine, soit par des traditions ou par des intérêts communs. Les Saxons étaient groupés en communautés de famille ou marks, qui sont les germes des townships, ou communes modernes. Une agglomération de familles forma le hundred, enfin ces derniers groupes combinés en nombre plus ou moins considérable formaient le comté, gâ, ou shire. 

Chacune de ces unités avait ses assemblées et ses chefs. A la tête de chaque comté se trouvait l'ealdorman ou alderman qui prenait en temps de guerre le titre de herttoga ou herzog. Enfin en dernière analyse la combinaison des shires formait le royaume, rice ou kingdome. La royauté était une instituhion essentielle dans le système politique des Anglo-Saxons. Les assemblées les plus importantes étaient celles du hundred et du shire, shiregemot. Les hommes libres de tout le royaume formaient l'assemblée générale, le conseil des sages ou wittenagemot. Le roi, King ou Cyning, est un descendant d'Odin. Il est choisi par l'assemblée générale; mais le droit d'élection a pour correctif l'obligation de choisir le chef suprême dans la famille divine. Le fils aîné ne succède pas nécessairement à son père. Il a néanmoins plus de chance d'être élu qu'aucun autre de ses parents. 

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L'Angleterre médiévale.

L'institution de la royauté se développa plus complètement et plus rapidement après la conquête. Les Saxons restés en Allemagne ne laissèrent pas le pouvoir de leurs ducs se transformer en pouvoir royal. On suit d'une manière confuse dans l'histoire de l'heptarchie les étapes et les progrès de la royauté. Cette descendance divine ne préserve pas les rois anglo-saxons des pires destinées. Au cours du VIIIe siècle, sur quinze rois de Northumbrie, deux seulement paraissent être morts paisiblement sur le trône, tous les autres ont été assassinés ou déposés. Il en est de même pour les autres royaumes. Cette dignité si périlleuse n'en était pas moins très convoitée. Le roi avait des domaines considérables. Il possédait les uns à titre privé, les autres comme dépendances de la couronne; enfin sur les terres publiques ou folkland il jouissait de prérogatives étendues qui équivalaient presque au droit de propriété. Son wergeld était énorme. D'après la loi du royaume de Mercie il était de 7200 shillings, dans le Northumberland à peu près du double. Cette somme devait être payée aux parents du roi, et il fallait en outre payer au peuple un cynebot de valeur égale. Mais cet avantage posthume était illusoire, car le meurtrier du roi se trouvait souvent être son parent et son successeur.  

Tels étaient les principaux cadres de la vie publique chez les Anglo-Saxons. La plus grande révolution qui se produisit parmi eux pendant l'heptarchie fut la conversion au christianisme dans le cours du VIIe siècle. Une mission envoyée par le pape saint Grégoire le Grand et à la tête de laquelle se trouvait Augustin fut accueillie par Ethelbert, roi de Kent; le royaume de Wessex fut évangélisé par un moine venu de la haute Italie, Birinus; les autres royaumes entrèrent tour à tour dans la communion catholique. L'oeuvre commencée par Augustin fut achevée en 673 par Théodose de Tarse, archevêque de Canterbury. L'Eglise anglo-saxonne créa véritablement l'unité morale de ces petits royaumes divisés et ennemis. Elle eut un caractère tout différent de l'ancienne Eglise bretonne, refoulée par la conquête dans les montagnes du pays de Galles ou contrainte à émigrer dans l'Armorique; elle se rattacha plus étroitement à l'Eglise romaine. Enrichie par les largesses des rois et des fidèles, elle ajouta pendant le VIIIe siècle aux revenus de ses domaines celui de la dîme qui fut rendue obligatoire pour tous les royaumes en 787. Elle divise le territoire en paroisses, chaque paroisse contient un ou plusieurs townships, mais on ne voit presque aucun cas de township démembré entre plusieurs paroisses, de sorte que par cette organisation I'Eglise renforça l'esprit de patriotisme local en même temps qu'elle donnait la conscience de l'unité nationale. Elle fit d'ailleurs payer cher ses services et tout n'est pas à approuver dans son histoire. Les monastères qui ne tardèrent pas à pulluler en Angleterre ne furent pas tous des écoles de vertu. Le célèbre auteur de l'Histoire ecclésiastique des Anglais, Bède le Vénérable, donne sur la vie monastique de ses contemporains des détails qui, pour être très curieux, ne sont pas très édifiants. 


L'unification de l'Angleterre

L'heptarchie anglo-saxonne dura jusqu'en 829, époque à laquelle le roi Egbert de Wessex devint par héritage, acquisition ou conquête, roi de tous les petits royaumes. Il semble pourtant qu'avant le IXe siècle, il y ait eu, à plusieurs reprises, une sorte de fédération des différents Etats. Egbert aurait été précédé de sept princes : Ella de Sussex, Ceawlin de Wessex, Ethelbert de Kent, Rodwal d'Est-Anglie, Edwin, Oswald et Oswy de Northumberland, qui portèrent le titre de Breatwalda, que les chroniqueurs latins traduisent par totius Britanniae rex. Nous ne sommes pas fixés sur le sens réel de cette dignité. D'ailleurs nous voyons que ce titre n'a pas été porté par le plus puissant roi des Anglo-Saxons au VIIIe siècle, Offa, roi de Mercie (757-794). Deux faits essentiels sont à noter parmi les conquêtes et les atrocités de ce roi. Il est le créateur en Angleterre du denier de saint Pierre ou tribut de Rome (Romescot) et il prête le savant Alcuin à Charlemagne. 

Nous voyons aussi que Charlemagne est obligé de réprimer la mauvaise foi des marchands anglais qui importaient dans les Etats francs des robes de laine de mauvaise qualité et de taille trop exiguë et de plus essayaient de frauder la douane. C'est à la cour de Charlemagne que s'était réfugié Egbert, exilé par Offa; une députation vint l'y chercher en 800 et il fut couronné roi de Wessex. Il mourut en 837, après avoir soumis tous les autres Etats à son hégémonie. Mais c'est aussi sous son règne que commencent les invasions danoises qui allaient ravager pendant trois siècles et demi la Grande-Bretagne. 


Les invasions danoises

Ces invasions peuvent se ramener à trois grandes périodes. Dans la première les Danois et les Vikings pillent les côtes et s'avancent à l'intérieur sans chercher à s'établir d'une manière fixe. Dans la seconde leurs chefs essaient de fonder des dynasties locales; dans la troisième une tentative très importante dans l'histoire générale de l'Europe septentrionale est faite pour constituer un vaste royaume englobant l'Angleterre avec les Etats scandinaves. La première période des invasions danoises comprend le règne d'Egbert qui les bat au sanglant combat d'Hengstone Hill (835) et celui de ses successeurs jusqu'à Alfred le Grand (871). La seconde période commence au traité conclu entre Alfred le Grand et Guthrun, elle s'étend jusqu'à la fin du Xe siècle. L'Angleterre est de nouveau divisée en deux parties. Le Nord-Est, où s'étaient surtout portées les invasions et qui était l'Angleterre proprement dite, fut souvent désigné sous le nom de Danelage.  

L'histoire de ce temps est elle aussi encore pleine de légendes. Les rois sont : Edouard l'Ancien (904), fils et successeur d'Alfred, Athelstan (925-940) qui prend l'offensive et conquiert presque toute l'Angleterre par la victoire de Brunanburgh, le grand combat, Edmond ler l'Ancien (941), Edred (946), Edwy (959), l'ennemi et la  victime de saint Dunstan; Edgar le Pacifique, sous lequel fut tué le dernier loup qui ait parcouru à l'état libre les forêts de l'Angleterre. Sa femme, la belle Elfrida, fut aussi célèbre par ses aventures que par sa dureté. Elle fit assassiner son beau-fils, Edouard le Martyr (975-978), et gouverna quelque temps son fils Ethelred II (978-1016) , l'esclave des moines, sous lequel recommencent les invasions danoises, dont il essaie de se débarrasser par les inutiles atrocités de la nuit de Saint-Brice (1002). Il fut obligé par Suénon (Sven I) de payer un tribut, le Danegeld, et enfin se retira en Normandie. Son fils Edmond Côte de Fer ne règne qu'un an et périt assassiné.

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