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La Reconquista : Résistance chrétienne et reconquête.

1. Les débuts de la Reconquista

La montée des royaumes chrétiens

La Reconquista débute avec la victoire de Covadonga en 722, une bataille symbolique menée par Pelage, qui fonde le royaume des Asturies dans les montagnes cantabriques. Ce succès marque le premier acte de résistance chrétienne contre les Maures, offrant un refuge aux populations locales et jetant les bases d'une reconquête progressive.

  • Pelage et ses successeurs : Après avoir consolidé leur pouvoir dans les Asturies, les souverains chrétiens comme Alphonse Ier (739-757), surnommé "le Catholique", profitent des divisions internes entre musulmans pour agrandir leurs territoires. Ils conquièrent notamment la Galice, une région stratégique à l'ouest, et amorcent des incursions vers la Navarre.

  • Stratégies militaires et politiques : Ces premières expansions reposent sur des raids rapides, le repeuplement des terres reconquises et des alliances avec d’autres clans chrétiens. Cette période est également marquée par l’instauration d’une identité chrétienne forte, renforcée par le culte naissant de Saint Jacques, futur saint patron de la Reconquista.


La naissance des royaumes de León et de Castille

  • León : Un nouveau centre de pouvoir : Sous le règne d’Alphonse III (866-910), surnommé "le Grand", le royaume des Asturies étend ses frontières au sud et transfère son siège d’Oviedo à León, créant le royaume de León. Ce déplacement reflète une volonté d’établir un centre de pouvoir plus accessible aux nouvelles zones de reconquête.

  • Castille : Un territoire distinct : À l’est du royaume de León, la région de Castille, initialement une marche frontalière destinée à repousser les incursions musulmanes, gagne en importance. En 1033, elle est érigée en royaume indépendant, jouant un rôle central dans la poursuite de la Reconquista.

Ces premiers siècles établissent les bases de la longue reconquête chrétienne, marquée par l’expansion territoriale, la consolidation des royaumes chrétiens et la création d’un imaginaire collectif autour de la lutte contre l’Islam.

2. Les conflits entre musulmans et chrétiens

Abderrahman III et l’apogée du Califat de Cordoue

Sous le règne d’Abderrahman III (929-961), le Califat de Cordoue atteint son apogée, affirmant sa domination politique et militaire sur la péninsule ibérique. Abderrahman III centralise le pouvoir, renforce l’administration et bâtit la ville-palais de Madinat al-Zahra, symbole de la grandeur musulmane.

  • Domination sur les royaumes chrétiens : En utilisant des expéditions punitives et la diplomatie, le califat impose des tributs (parias) aux royaumes chrétiens du nord, consolidant son autorité sur la péninsule. Ces tributs affaiblissent économiquement les royaumes chrétiens tout en enrichissant Cordoue.

  • Le rôle d’Almanzor : Sous le régent Almanzor (978-1002), la domination musulmane se renforce par des campagnes militaires spectaculaires. Almanzor mène de nombreux raids destructeurs contre les chrétiens, saccageant des villes emblématiques comme Saint-Jacques-de-Compostelle et Léon, qu’il rase en 996, semant la terreur et consolidant l’influence de Cordoue.

Révoltes chrétiennes et alliances

Face à l’expansion musulmane, les royaumes chrétiens du nord s’organisent pour résister et riposter. La fin du Xe siècle marque un tournant dans la lutte entre musulmans et chrétiens.

  • Coalitions contre Almanzor : En 998, une coalition menée par Bermude II (roi de León), Garcia II (roi de Navarre) et le comte de Castille inflige une défaite décisive à Almanzor à la bataille de Calatañazor. Bien qu’historiquement discutée, cette victoire devient un événement symbolique, affaiblissant le prestige de Cordoue et marquant le déclin du pouvoir d’Almanzor.

  • Le début de la fragmentation musulmane : Après la mort d’Almanzor en 1002, le Califat de Cordoue entre dans une phase de désintégration, avec l’émergence de taïfas, ou royaumes musulmans indépendants. Ces divisions permettent aux royaumes chrétiens de renforcer leurs positions et de reprendre l’offensive.

Ces conflits illustrent la dynamique complexe de la Reconquista, marquée par des alternances de domination musulmane et de ripostes chrétiennes, souvent déterminées par des alliances temporaires et des rivalités internes.





3. Partages et divisions des royaumes chrétiens

Une tradition de division dynastique

Après la mort d’Alphonse III (866-910), roi des Asturies, son royaume est divisé entre ses fils selon une pratique dynastique courante à l’époque médiévale. Ces partages affaiblissent la cohésion politique et militaire des royaumes chrétiens, ralentissant leur progression contre les musulmans.

  • Division de l’héritage : Alphonse III lègue la Galice à son fils Ordoño II, León à Garcia, et les Asturies à Fruela II. Ces partages fragmentent le pouvoir centralisé des Asturies et limitent les ressources disponibles pour une offensive coordonnée contre les musulmans.

  • Conséquences de la fragmentation : La faiblesse des royaumes divisés expose les territoires chrétiens à des incursions musulmanes. Cette désunion rend également difficile la consolidation des terres reconquises, retardant l’expansion chrétienne vers le sud.

Résilience malgré les divisions

Malgré ces partages, certains rois chrétiens parviennent à reprendre l’initiative face aux musulmans, montrant une résilience remarquable.

  • Ordoño III (951-956) : Roi de León, il mène plusieurs campagnes contre les musulmans, reprenant des positions stratégiques comme Lisbonne en 953. Il rétablit l’ordre dans son royaume et renforce son autorité face aux nobles rebelles, consolidant la frontière sud.

  • Alphonse V (999-1028) : Héritier de Bermude II, il s’illustre en reconstruisant la ville de Léon, détruite par Almanzor en 996. Léon redevient un centre politique et militaire vital pour la Reconquista. Alphonse V travaille également à renforcer l’unité législative de son royaume en promulguant le Code de León, une tentative précoce d’unification juridique.

Les effets durables des divisions

Malgré ces efforts, la fragmentation politique reste une caractéristique durable des royaumes chrétiens au Moyen Âge. Les partages d’héritages affaiblissent leur capacité à agir de manière concertée contre les musulmans. Cependant, ces divisions nourrissent également une rivalité qui stimule les ambitions des différents royaumes, contribuant à la dynamique de la Reconquista.

Cette période marque donc un équilibre fragile entre désunion interne et progrès militaire, posant les bases des futurs grands royaumes de la péninsule, comme la Castille et l’Aragon.


4. Un combat spirituel et politique

Saint Jacques, figure spirituelle de la Reconquista

La victoire de Ramire II de León contre les troupes d’Abderrahman III à la bataille de Simancas en 938 marque un tournant, non seulement militaire mais également spirituel. Cet événement est associé à une légende selon laquelle Saint Jacques, l’apôtre, aurait miraculeusement soutenu les forces chrétiennes.

  • Le rôle de Saint Jacques : Rapidement adopté comme le saint patron de la Reconquista, Saint Jacques devient un symbole unificateur pour les armées chrétiennes. Son cri de guerre, "Santiago!", galvanise les troupes dans les batailles contre les musulmans, renforçant le sentiment d’une mission divine pour récupérer la péninsule ibérique.

  • Le pèlerinage de Compostelle : La découverte supposée du tombeau de Saint Jacques à Saint-Jacques-de-Compostelle renforce encore cette dimension spirituelle. La ville devient un centre de pèlerinage majeur, attirant des chrétiens de toute l’Europe, consolidant l’identité chrétienne des royaumes ibériques et leur position dans la chrétienté occidentale.

Une unification politique en gestation

Malgré les divisions dynastiques, des mariages politiques et des alliances stratégiques commencent à préparer une unification progressive des royaumes chrétiens.

  • Mariages stratégiques : L’union de Bermude III de León avec Ferdinand Ier de Castille, fils de Sanche III de Navarre, illustre cette stratégie. Ces alliances matrimoniales servent non seulement à renforcer les liens entre royaumes, mais aussi à consolider des territoires face à l’avancée musulmane.

  • La montée des grandes dynasties : Ferdinand Ier devient un acteur clé, posant les bases de l’hégémonie castillane et préparant l’unification des royaumes chrétiens sous une autorité centrale, qui culminera des siècles plus tard avec les Rois Catholiques.

Le double enjeu spirituel et politique

La Reconquista est bien plus qu’une série de batailles militaires : elle est aussi une lutte idéologique et religieuse. L’alliance entre l’Église et les royaumes chrétiens renforce le caractère sacré de cette entreprise, tout en consolidant leur légitimité politique. Les alliances dynastiques et la mobilisation spirituelle autour de Saint Jacques permettent de surmonter, en partie, les divisions internes, forgeant une identité chrétienne ibérique collective qui guidera les étapes ultérieures de la Reconquista.

Héritage de la Reconquista

Fondation de l’Espagne moderne

La Reconquista, étalée sur plus de sept siècles, constitue un processus fondamental pour l’émergence de l’Espagne en tant qu’entité politique et culturelle unifiée :

  • Unification territoriale : La consolidation progressive des royaumes chrétiens, notamment avec l’union de la Castille et de l’Aragon en 1469 par le mariage des Rois Catholiques, Ferdinand et Isabelle, a été un héritage direct des avancées militaires et diplomatiques de la Reconquista.
  • Naissance d’une monarchie centralisée : En intégrant divers territoires dans un projet commun, la Reconquista préfigure la centralisation administrative et politique de l’Espagne moderne.

Renforcement de l’identité chrétienne

La lutte contre les musulmans a renforcé le rôle de la religion chrétienne comme pilier de l’identité ibérique :

  • Expansion du christianisme : La Reconquista a permis de rétablir l’influence chrétienne sur toute la péninsule, avec un soutien actif de l’Église, qui joue un rôle central dans l’administration et la légitimation des royaumes.
  • Symbolisme de 1492 : L’achèvement de la Reconquista avec la prise de Grenade en 1492 marque une victoire définitive de la chrétienté sur l’islam dans la péninsule, renforçant un sentiment de triomphe religieux.

Redéfinition culturelle et sociale

  • Fusion culturelle : Malgré les tensions, la coexistence prolongée entre chrétiens, musulmans et juifs a laissé un héritage culturel unique, visible dans l’architecture (comme l’Alhambra) et les traditions.
  • Exclusion religieuse : La fin de la Reconquista s’accompagne d’une politique d’exclusion et d’homogénéisation religieuse, avec l’expulsion des juifs (1492) et la conversion forcée ou l’exil des musulmans.

Ouverture sur le monde

La Reconquista a joué un rôle de tremplin pour l’expansion espagnole en dehors de la péninsule :

  • Découverte du Nouveau Monde : La même année que la prise de Grenade, Christophe Colomb, soutenu par les Rois Catholiques, découvre l’Amérique, inaugurant une ère d’expansion et de conquête.
  • Esprit de croisade : L’élan de la Reconquista a nourri une mentalité de croisade qui a influencé les entreprises coloniales espagnoles, orientées vers la conversion religieuse et la domination culturelle.

La Reconquista a ainsi façonné l’Espagne en tant que puissance chrétienne, militaire et culturelle, tout en laissant des traces durables dans l’identité ibérique et européenne.


Références

  1. Fletcher, Richard. The Quest for El Cid. Oxford University Press, 1989.
  2. Linehan, Peter. The History and Historiography of the Reconquista. Oxford University Press, 1993.
  3. O’Callaghan, Joseph F. Reconquest and Crusade in Medieval Spain. University of Pennsylvania Press, 2004.
  4. Bishko, Charles Julian. "The Castilian as Heirs of León's Crusading Ideology." Speculum, vol. 31, no. 4, 1956, pp. 668–690.


Auteur : Stéphane Jeanneteau

Septembre 2011


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