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L’invasion abbasside de l’Asie Mineure en 806 : Une démonstration de force sans bénéfices durables.

L’accession au pouvoir de Nicéphore Ier en 802 marque un tournant dans les relations entre l’Empire byzantin et le califat abbasside. Contrairement à son prédécesseur, l’impératrice Irène, qui avait négocié une trêve avec le calife Hâroun al-Rachîd en échange du paiement d’un tribut, Nicéphore adopte une posture plus belliqueuse. Il stoppe le paiement du tribut et mène des actions offensives en Cilicie et en Mésopotamie. En réponse, Hâroun organise des raids sur le territoire byzantin, aboutissant à une série d’affrontements en 803 et 804.

En 805, Nicéphore mène une campagne audacieuse contre des positions arabes en Cilicie, allant jusqu’à capturer Tarse, une forteresse clé. Ces actions inquiètent profondément Hâroun, qui décide de préparer une expédition massive pour réaffirmer la domination abbasside et punir Nicéphore. Cette invasion de 806 sera l’une des plus grandes entreprises militaires du califat abbasside, tant par l’ampleur des forces mobilisées que par son ambition stratégique.


La campagne de 806 : une mobilisation sans précédent

L’armée abbasside, composée de 135 000 soldats réguliers et volontaires selon Al-Tabari, quitte Racca en juin 806 sous la direction d’Hâroun al-Rachîd. Bien que les chiffres exacts soient probablement exagérés, il est clair qu’il s’agit de l’une des plus grandes armées déployées par le califat. Une flotte arabe, dirigée par Humayd ibn Ma'yuf, accompagne l’invasion pour mener des raids sur Chypre et les côtes byzantines.

Les avancées abbassides

  • L’armée traverse les Portes ciliciennes et envahit la Cappadoce, prenant d’assaut plusieurs villes et forteresses, dont Thebasa et Malakopea.
  • Hâroun lui-même dirige une partie des forces vers l’ouest, atteignant Héraclée, qui est prise après un siège d’un mois. La ville est rasée, et ses habitants sont réduits en esclavage.
  • Une force navale annexe Chypre, capturant environ 16 000 habitants, y compris l’archevêque, qui sont déportés en Syrie.

Les limites de la résistance byzantine

Nicéphore, confronté à une armée arabe écrasante et menacé sur son flanc nord par les Bulgares, adopte une approche prudente. Il évite toute confrontation directe avec l’armée principale d’Hâroun et remporte seulement quelques escarmouches mineures contre des détachements isolés. À la fin de l’été, Nicéphore négocie une trêve pour éviter un désastre plus grand.


Le traité de 806 : une trêve humiliante pour Byzance

Pour mettre fin à la campagne, Nicéphore accepte des conditions particulièrement dures :

  • Le paiement d’un tribut annuel, estimé entre 30 000 et 50 000 nomismata d’or.
  • Un paiement symbolique humiliant, où Nicéphore et son fils Staurakios doivent verser chacun trois pièces d’or au calife, une reconnaissance implicite de leur soumission.
  • La promesse de ne pas reconstruire les fortifications frontalières détruites par les Arabes.

En retour, Hâroun se retire avec ses forces, emportant un riche butin et une réputation renforcée. La trêve est accompagnée d’un échange amical d’ambassades, au cours duquel Hâroun offre des cadeaux somptueux à Nicéphore, illustrant le mélange de respect et de mépris entre les deux dirigeants.


Conséquences immédiates et à long terme

Pour Byzance

À court terme, la campagne de 806 est une humiliation pour Nicéphore. Cependant, il profite du retrait abbasside pour restaurer rapidement les fortifications frontalières, rompant les termes du traité. En 807, les Byzantins repoussent avec succès une série de raids arabes, marquant un retour limité à l’équilibre stratégique.

À long terme, l’invasion de 806 confirme l’incapacité de Byzance à repousser directement les grandes offensives abbassides, tout en soulignant sa résilience. Nicéphore détourne ses efforts vers les Balkans, où il tente de consolider l’autorité impériale face aux Slaves et aux Bulgares, bien qu’il subisse une défaite désastreuse contre ces derniers à la bataille de Pliska en 811.

Pour le califat abbasside

Malgré l’ampleur de la campagne, ses gains matériels et stratégiques sont limités. Bien qu’Héraclée soit détruite et que les Arabes s’emparent d’un butin considérable, ils ne conservent aucun territoire durablement. L’invasion est davantage une démonstration de force destinée à intimider Byzance qu’une tentative sérieuse de conquête territoriale.

Après la mort d’Hâroun en 809, le califat entre dans une période d’instabilité marquée par une guerre civile entre ses fils, Al-Amin et Al-Ma’mun. Cette situation affaiblit la capacité des Abbassides à mener de grandes campagnes contre Byzance. Il faut attendre les années 830, sous Al-Mu'tasim, pour que des offensives majeures soient de nouveau lancées.

Une rivalité persistante

La campagne de 806 illustre les limites de la domination abbasside sur Byzance. Malgré des victoires spectaculaires, les Arabes échouent à infliger des pertes durables ou à empêcher les Byzantins de reconstituer leurs défenses. De leur côté, les Byzantins, bien qu’humiliés, démontrent une capacité remarquable à résister et à récupérer après des invasions massives.


Impact historique

L’invasion abbasside de 806 représente l’apogée des campagnes dirigées par Hâroun al-Rachîd contre Byzance. Elle témoigne de la puissance militaire du califat, mais aussi de ses limites en matière de maintien des gains territoriaux. En effet, cette campagne marque la fin des grandes invasions abbassides pour près de deux décennies, ouvrant une période de relative stabilité sur la frontière orientale byzantine.



Références

  1. Al-Tabari, History of the Prophets and Kings.
  2. Théophane le Confesseur, Chronographie.
  3. Warren Treadgold, A History of the Byzantine State and Society.
  4. John Haldon, The Byzantine Wars.

Auteur : Stéphane Jeanneteau : Juin 2012