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La bataille de Phœnix de Lycie en 655 : Une victoire navale décisive pour le califat.

Dans les années 650, le Califat arabe, après avoir achevé la conquête de l'Empire sassanide, poursuit son expansion dans les territoires byzantins. La domination byzantine, jusque-là incontestée sur les mers, commence à être sérieusement contestée par les efforts navals musulmans. Sous l’impulsion du calife Uthman ibn Affan, une flotte arabe puissante est constituée, notamment grâce aux ressources des cités côtières conquises en Syrie et au Liban.

En 649, le raid réussi sur Chypre sous la direction de Muʿāwiya ibn Abi Sufyan marque une étape clé dans l’ambition maritime du califat. Ces succès encouragent les Arabes à entreprendre des opérations plus ambitieuses en Méditerranée orientale. Le gouverneur de l’Égypte, Abdullah bin Sa’ad, joue un rôle central dans le développement de cette marine. En parallèle, Byzance, sous le règne de l’empereur Constant II, cherche à préserver son contrôle sur les eaux méditerranéennes, essentiel à sa survie stratégique.

En 655, les Arabes, sous la direction d’Abdullah bin Sa’ad, mènent une expédition en Cappadoce, avançant le long des côtes méridionales de l’Anatolie. Cette incursion déclenche une riposte byzantine, et les deux flottes se rencontrent au large des côtes de Lycie, près du mont Phœnix (aujourd'hui Finike).


La bataille : un affrontement maritime rare

La bataille de Phœnix de Lycie est remarquable car elle se déroule en haute mer, un événement peu fréquent au Moyen Âge où les flottes préfèrent opérer à proximité des côtes. Les Byzantins, alignant environ 300 navires contre environ 200 pour les Arabes, bénéficient d’une nette supériorité numérique. Cependant, cette force n’est pas accompagnée d’une stratégie tactique efficace.

Les flottes se rencontrent dans des conditions de calme plat, ce qui immobilise les navires à la nuit tombée. Au matin, les Byzantins, confiants dans leur supériorité, lancent une attaque désordonnée sans formation tactique claire. Les Arabes exploitent cette négligence : ils amarrent leurs navires à ceux des Byzantins, immobilisant leur adversaire et engageant des combats rapprochés qui se transforment en affrontements d’infanterie.

Malgré des pertes élevées des deux côtés, la bataille se solde par une victoire arabe. L’empereur Constant II échappe de justesse à la capture en déguisant l’un de ses officiers en lui-même pour distraire l’ennemi.


Conséquences de la bataille

Émergence de la puissance navale musulmane

La victoire de Phœnix de Lycie marque un tournant dans l’histoire maritime de la Méditerranée. Elle consacre l’émergence de la marine musulmane comme une force capable de rivaliser avec la flotte byzantine. Cet affrontement met également en lumière les capacités croissantes des Arabes à construire et à utiliser efficacement des navires de guerre, s'appuyant sur les ressources des chantiers navals syriens et libanais.

Limites des gains immédiats pour le califat

Malgré leur victoire, les Arabes subissent des pertes considérables en hommes et en navires, ce qui limite leur capacité à capitaliser sur leur succès. Peu après, des positions comme Rhodes sont abandonnées, et le califat doit attendre les années 670 pour reprendre ses opérations maritimes majeures, culminant avec le siège de Constantinople (674-678).

Une leçon pour les Byzantins

Pour Byzance, la défaite est un coup sévère, mais elle ne signifie pas la fin de sa domination maritime. La maîtrise du feu grégeois, une arme dévastatrice, permet aux Byzantins de conserver leur hégémonie dans des batailles ultérieures, notamment lors du siège de Constantinople de 717-718. La bataille de Phœnix de Lycie reste cependant un exemple d'incompétence navale byzantine, en raison d'une préparation inadéquate et d'un excès de confiance.

Une nouvelle dynamique en Méditerranée

La bataille symbolise un changement profond dans l'équilibre des pouvoirs en Méditerranée orientale. Elle marque la transition d’un espace maritime dominé exclusivement par Byzance à une Méditerranée contestée par les Arabes et les Byzantins. Cette dynamique mènera à des décennies de raids et de contre-attaques avant que les Arabes ne puissent sécuriser des bases durables comme la Crète (en 824) et la Sicile (en 902).



Références

  1. Théophane le Confesseur, Chronographie.
  2. Hugh Kennedy, The Great Arab Conquests, Da Capo Press, 2007.
  3. Maurice Lombard, Les origines de l'économie musulmane.
  4. Vassilios Christidès, Naval Warfare in the Eastern Mediterranean in the 7th Century.

Auteur : Stéphane Jeanneteau - Juin 2012