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La bataille de Pliska (811) : Une victoire historique pour les Bulgares face à Byzance.

La bataille de Pliska en 811 constitue l’un des affrontements les plus marquants de l’histoire médiévale des Balkans. Elle oppose l’Empire byzantin, mené par l’empereur Nicéphore Ier, au Premier Empire bulgare sous la direction du khan Kroum. Cet épisode illustre l’acharnement des Byzantins à soumettre la Bulgarie et la détermination des Bulgares à défendre leur territoire, dans un contexte de brutalité et de stratégies audacieuses.


Contexte : Expansion bulgare et riposte byzantine

Au début du IXe siècle, le khan Kroum poursuit une politique d’unification des Balkans, intégrant les sklavinies slaves et les valachies thraco-romanes à la confédération bulgare. Après des victoires successives, dont la prise de Serdica (Sofia) en 809, la Bulgarie devient une puissance montante, menaçant l’autorité de Byzance dans la région.

Cette expansion inquiète Nicéphore Ier, basileus byzantin, qui décide d’agir pour neutraliser cette menace. En mai 811, il rassemble une armée massive, soutenue par des colons anatoliens installés le long des monts Haemos (Balkans) pour protéger la frontière nord de l’Empire. L’objectif est clair : anéantir la Bulgarie et s’assurer du contrôle total des Balkans.


Les prémices de la bataille : Pillages et refus de paix

Le 10 juillet 811, Nicéphore établit son camp à Marcellæ, à proximité de la frontière bulgare. Après avoir brisé la résistance des avant-gardes bulgares, son armée, divisée en trois colonnes, avance vers Pliska, la capitale de Kroum. Le 23 juillet, les Byzantins prennent la ville, dispersant les forces bulgares. Nicéphore rejette alors les propositions de paix du khan Kroum, qui cherche à préserver son peuple d’un carnage.

Au lieu de se retirer après cette victoire, Nicéphore ordonne le pillage systématique de Pliska. Les récits des chroniqueurs byzantins et étrangers, notamment Théophane le Confesseur et Michel le Syrien, décrivent les atrocités commises : meurtres de masse, destruction des habitations, et torture des populations locales. Selon Michel le Syrien, les soldats byzantins auraient utilisé des rouleaux à battre le grain pour écraser des enfants, symbolisant l’extrême cruauté de la campagne.

Face à ces horreurs, Kroum renouvelle son offre de paix. Mais Nicéphore, confiant en sa supériorité, refuse une nouvelle fois, provoquant la colère du khan bulgare. Ce dernier mobilise alors toutes ses forces, incluant même des civils, pour préparer une riposte décisive.


La bataille : Une embuscade fatale

Profitant de la négligence des Byzantins occupés à piller Pliska, Kroum tend une embuscade dans les défilés de la Vărbitza, une région montagneuse offrant des opportunités stratégiques idéales. Pendant que l’armée byzantine commence sa retraite vers Constantinople, Kroum positionne ses troupes derrière des barricades en bois, renforçant sa défense avec des douves et des obstacles naturels.

À l’aube du 26 juillet, les Byzantins tombent dans le piège. Pris au piège entre les fortifications de Kroum et les douves, ils subissent une attaque dévastatrice. Nicéphore Ier est tué au cours de la bataille, marquant la première mort d’un empereur byzantin sur un champ de bataille depuis Valens en 378. Les survivants, désorganisés, sont pour la plupart tués ou capturés. Certains se noient en tentant de fuir, tandis que d’autres périssent lorsque les barricades bulgares sont incendiées.

Le fils de Nicéphore, Stavrakios, parvient à s’échapper avec l’aide de la garde impériale, mais il est gravement blessé. Sa blessure au cou le paralyse, et il abdique peu après, mourant quelques mois plus tard


Schéma de la bataille.


Conséquences : Une victoire symbolique et stratégique

La bataille de Pliska représente une humiliation majeure pour l’Empire byzantin et un triomphe éclatant pour la Bulgarie. Cette victoire non seulement renforce le pouvoir de Kroum, mais elle établit également un précédent dans les relations entre Byzance et ses voisins. Kroum exploite ce succès pour asseoir son autorité et poursuit ses campagnes d’expansion.

L’humiliation de Nicéphore ne s’arrête pas à sa défaite. Selon la légende, Kroum aurait fait recouvrir d’argent le crâne de l’empereur et l’aurait utilisé comme coupe à boire, un acte symbolisant la domination bulgare sur Byzance et la vengeance pour les atrocités commises à Pliska.


Analyse : Une leçon de stratégie et d’humanité

Le succès de Kroum repose sur une combinaison d’ingéniosité militaire, de connaissance du terrain et de mobilisation de toutes les ressources disponibles, y compris les civils. Cette victoire met en lumière l’importance des embuscades et de la guerre asymétrique face à une armée supérieure en nombre mais mal préparée.

D’un autre côté, la brutalité de Nicéphore et son mépris pour les propositions de paix de Kroum ont contribué à sceller son sort. Son incapacité à anticiper une contre-attaque, malgré les avertissements, reflète une erreur stratégique fatale.


Conclusion : Une victoire marquante dans l’histoire des Balkans

La bataille de Pliska est bien plus qu’une simple victoire militaire : elle symbolise le courage d’un peuple déterminé à défendre son territoire contre une puissance dominante. Elle marque également un tournant dans les relations byzantino-bulgares, illustrant les limites de la puissance impériale face à un adversaire résilient et stratégique.

Sources et références

  • Fine, J. V. A. The Early Medieval Balkans: A Critical Survey from the Sixth to the Late Twelfth Century. University of Michigan Press, 1983.
  • Theophanes the Confessor. Chronographia.
  • Michel le Syrien. Chronique.
  • Treadgold, W. T. A History of the Byzantine State and Society. Stanford University Press, 1997.

Auteur : Stéphane Jeanneteau, Octobre 2012