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La bataille du Yarmouk  636

Lors de la dernière des guerres byzantino-perses, Héraclius devient empereur romain d'Orient en 610 après avoir renversé Phocas. Dans le même temps, les Sassanides conquièrent la Mésopotamie. En 611, ils entrent en Anatolie et occupent Césarée de Cappadoce. En 612, Héraclius parvient à repousser les Perses d’Anatolie mais subit une lourde défaite en 613 après avoir lancé une offensive majeure contre les Perses en Syrie. Durant la décennie suivante, les Perses parviennent à conquérir la Palestine et l’Égypte. Durant cette période, Héraclius prépare une contre-attaque et reconstruit son armée. Neuf ans plus tard, en 622, Héraclius lance son offensive. Après de nettes victoires contre les Perses et leurs alliés dans le Caucase et en Arménie, Héraclius lance une offensive hivernale en 627 en Mésopotamie. Il y remporte une victoire décisive à Ninive qui lui permet de menacer directement Ctesiphon, la capitale perse. Discrédité par ces séries de désastres, Khosro II est renversé et tué par un coup d’État mené par son fils Kavadh II. Ce dernier entame alors des négociations de paix et accepte de quitter tous les territoires byzantins occupés par les Perses. En 629, Héraclius ramène la Vraie Croix à Jérusalem lors d’une majestueuse cérémonie.


L'Empire byzantin au début du viie siècle, quelques décennies avant les premières invasions musulmanes.

Pendant que Byzantins et Perses s’épuisent dans un conflit de longue durée, l’Arabie connaît un profond bouleversement politique après que Mahomet a prêché l’islam à partir de 630. Cette nouvelle religion s’étend rapidement et parvient à unir la région sous une seule autorité politique. À la mort du prophète en juin 632, Abu Bakr est élevé au rang de calife. Toutefois, des troubles agitent le début de règne de ce dernier qui voit son autorité contestée par plusieurs tribus arabes. Ce que l’on nomme aujourd’hui les guerres de Ridda éclatent alors entre les deux factions et Abu Bakr en sort victorieux. Cette victoire lui permet d'unir l’Arabie sous l’autorité centrale du calife à Médine.

Une fois les rebelles soumis, Abu Bakr lance une guerre de conquête avec l’Irak comme première cible. Il y envoie son meilleur général, Khalid ibn al-Walid, qui conquiert ce territoire après une série de campagnes victorieuses contre les Sassanides. Ce succès accroît la confiance d’Abu Bakr et après que Khalid a installé sa forteresse en Irak, il lance un appel aux armes pour l’invasion de la Syrie en février 634. L’invasion de ce territoire est une suite d’opérations militaires soigneusement préparées et bien coordonnées. La stratégie y prime sur la force pure pour contrecarrer les mesures défensives des Byzantins. Toutefois, les armées musulmanes s’avèrent bientôt trop peu nombreuses pour s'opposer à la réponse byzantine. Les généraux musulmans doivent alors faire appel à des renforts. Abu Bakr envoie Khalid et un détachement pour mener l’invasion. En juillet 634, les Byzantins sont défaits à la bataille d'Ajnadayn. En septembre, la ville de Damas tombe. Peu après, la dernière garnison byzantine importante de Palestine est mise en déroute lors de la bataille de Fahl.

Lors de cette même année 634, le calife Abu Bakr meurt. Il est remplacé par Omar ibn al-Khattâb qui est déterminé à poursuivre l’expansion musulmane en Syrie. Khalid, malgré ses succès, est remplacé par Abu Ubayda ibn al-Djarrah. Après avoir sécurisé le sud de la Palestine, les musulmans progressent le long de la route commerciale passant par Tibériade et Baalbek. Ces deux villes sont conquises sans grandes difficultés. Au début de l’année 636, c’est au tour d’Emèse de tomber. De là, les musulmans continuent leur progression à travers le Levant.


Contre-attaque byzantine

Après s'être emparés d'Émère, les musulmans sont tout proches d'Alep, une forteresse byzantine, ainsi que d'Antioche où Héraclius réside. L'empereur byzantin est particulièrement inquiet de cette série de revers et prépare une contre-attaque pour récupérer les territoires perdus. En 635, Yazdgard III, l'empereur sassanide, est à la recherche d'une alliance avec les Byzantins. Héraclius décide alors de marier sa fille Manyanh à Yazdgard pour consolider cette alliance. Pendant qu'Héraclius met au point une grande offensive au Levant, Yazdgard doit préparer une autre contre-attaque en Irak dans un effort coordonné. Toutefois, alors que Héraclius lance son attaque en mai 636, l'empereur sassanide n'est pas en mesure de faire de même, probablement en raison de l'épuisement de son gouvernement. De ce fait, ce qui devait être une action décisive ne peut être mis en œuvre.

Omar remporte une importante victoire contre Héraclius près du Yarmouk et parvient à piéger Yazdgard. Trois mois plus tard, l'empereur sassanide perd une grande partie de son armée lors de la bataille d'al-Qadisiyya en novembre 636 qui marque la fin du contrôle sassanide sur la partie occidentale de la Perse.

Les préparatifs byzantins commencent à la fin de l'année 635 et en mai 636, Héraclius dispose d'une importante armée concentrée à Antioche, au nord de la Syrie. Elle est composée de contingents de Byzantins, de Slaves, de Francs, de Géorgiens, d'Arméniens et d'Arabes chrétiens. Cette force est divisée en cinq armées dont le commandement conjoint est confié à Théodore Trithyrius. Vahan, un Arménien et l'ancien commandant de la garnison d'Emese, dirige le contingent arménien. Buccinator, un prince slave dirige les Slaves et Jabalah ibn al-Aiham, le roi des Ghassanides, est à la tête d'une force uniquement composée d'Arabes chrétiens. Les autres contingents originaires d'Europe sont placés sous l'autorité de Grégoire et Dairjan. Quant à Héraclius, il supervise les opérations depuis Antioche. Les sources byzantines citent Nicétas, le fils du général perse Schahr-Barâz parmi les généraux mais sa présence dans l'armée est incertaine.

À ce moment, l'armée Rashidun est divisée en quatre groupes. Le premier est dirigé par Amr ibn al-As en Palestine, le deuxième par Sharhabeel ibn Hasana en Jordanie, le troisième par Yazid ben Abi Sufyan dans la région de Damas et de Césarée et le dernier par Abu Ubayda ibn al-Djarrah avec Khalid à Émesée. Cette division des forces musulmanes tente d'être exploitée par Héraclius. Il ne souhaite pas s'engager dans une seule bataille rangée mais cherche plutôt à profiter de sa position centrale pour combattre chacune des forces adverses en concentrant les siennes. Ainsi, il veut éviter que les armées musulmanes ne se rassemblent. En forçant ces dernières à se replier ou en les détruisant séparément, il parviendrait à récupérer les territoires perdus. Des renforts sont envoyés à Césarée sous la direction de Constantin III, le fils d'Héraclius, probablement pour s'attaquer aux forces de Yazid qui assiègent la ville. Au milieu du mois de juin 636, l'armée impériale byzantine quitte Antioche et se dirige vers le sud.


Le plan de l'armée byzantine est le suivant :

  • Les Chrétiens arabes légèrement armés, dirigés par Jabalah, doivent marcher d'Émèse vers Alep, en passant par Hama, et fixer le gros de l'armée musulmane à Émèse ;
  • Dairjan doit conduire un mouvement tournant, se déplaçant entre la côte et la route d'Alep, pour approcher d'Émèse depuis l'Ouest. Il doit frapper l'aile gauche musulmane alors que l'armée adverse est confrontée frontalement à Jabalah ;
  • Grégoire doit attaquer le flanc droit des musulmans et approcher d'Émèse depuis le nord-est et la Mésopotamie ;
  • Qanateer doit marcher le long de la route côtière et occuper Beyrouth. De là, il doit attaquer Damas qui est faiblement défendue et la couper du gros de l'armée musulmane à Émèse ;
  • Vahan se tient en force de réserve et doit approcher d'Émèse depuis Hama18.


Stratégie musulmane

Les musulmans découvrent les préparatifs d'Héraclius à Shaizar par le biais de prisonniers byzantins. De ce fait, Khalid est informé de la possibilité que ses forces séparées soient attaquées puis vaincues et il décide de réunir un conseil de guerre. Il conseille à Abu Ubaidah de se replier depuis la Palestine et la Syrie pour rassembler l'ensemble de l'armée Rashidun en un endroit. Abu Ubaidah organise cette concentration dans la vaste plaine proche de Jabiya. Le contrôle de cette zone rend possibles les charges de cavalerie et facilite l'arrivée des renforts dirigés par Omar. Ainsi, une armée puissante et unie peut être engagée contre les armées byzantines. Cette position jouit aussi de sa proximité avec la forteresse de Najd contrôlée par les musulmans et qui peut servir en cas de retraite. Toutefois, une fois rassemblées à Jabiya, les musulmans subissent les raids des forces Ghassanides alliées aux Byzantins. En outre, cette position est précaire car une puissante armée byzantine est casernée à Césarée et peut attaquer les musulmans sur leurs arrières s'ils combattent l'armée byzantine. Sur les conseils de Khalid, les forces musulmanes se replient vers Dara'ah (ou Dara) et Dayr Ayyub, couvrant le ravin entre les gorges du Yarmouk et les plaines de Harra lava. Là, elles établissent une ligne de campements dans la partie orientale de la plaine du Yarmouk. C'est alors une puissante position défensive qui entraîne les deux armées à s'opposer dans une bataille frontale que les Byzantins voulaient éviter. Au cours de ces manœuvres, aucun engagement n'intervient entre les deux forces, à l'exception d'une escarmouche entre l'avant-garde byzantine et la cavalerie légère d'élite de Khalid.


Champ de bataille

Le champ de bataille se situe dans la plaine occidentale de la région du Hauran en Syrie, au sud-est du plateau du Golan, dans une zone en altitude actuellement à la frontière entre Israël, la Jordanie et la Syrie, à l'est de la mer de Galilée. La bataille se déroule dans la plaine du nord du Yarmouk, enserrée sur sa bordure occidentale par un profond ravin, connu sous le nom de Wadi-ur-Ruqqad. La rivière Yarmouk a des rives très pentues, allant de trente mètres à deux cents mètres de hauteur. Au nord se trouve la route de Jabiya et à l'est les collines d'Azra. Seule une élévation de terrain se situe sur le champ de bataille à proprement parler, culminant à une centaine de mètres et connue sous le nom de Tel al Jumm'a. Pour les troupes musulmanes qui s'y trouvent, cette colline offre un bon panorama sur la plaine du Yarmouk. Le ravin à l'ouest du champ de bataille est accessible par quelques endroits et peut être franchi par un pont romain près d'Ain Dhakar. Enfin, la plaine du Yarmouk comprend des ressources en eau suffisantes, des pâturages utilisables par les deux armées et elle est idéale pour des manœuvres de cavalerie.


Tensions dans l'armée byzantine

La stratégie de Khalid de retirer ses forces des territoires occupés pour les concentrer dans l'optique d'une bataille décisive contraint les Byzantins à rassembler leurs cinq armées en réaction. Depuis plusieurs siècles, les Byzantins ont évité de s'engager dans des batailles décisives à grande échelle et la concentration d'une telle force engendre des tensions logistiques pour un Empire mal préparé. Damas est la base logistique la plus proche mais Mansur, le dirigeant de la ville, ne peut approvisionner l'ensemble de cette grande armée qui se rassemble dans la plaine du Yarmouk. Plusieurs altercations interviennent, impliquant des habitants de la ville qui réagissent aux réquisitions. Les sources grecques accusent Vahan de trahison en désobéissant à l'ordre d'Héraclius de ne pas s'engager dans une bataille de grande ampleur. Toutefois, étant donné le rassemblement d'une grande armée musulmane, Vahan dispose de peu d'autres choix. Les relations entre les différents généraux byzantins sont tendues. Il existe notamment une lutte d'influence entre Trithyrios et Vahan, Jarajis et Qanateer. Jabalah, le chef des Chrétiens arabes, est largement mis de côté alors même qu'il dispose d'une bonne connaissance du terrain. Une atmosphère de méfiance existe entre les Grecs, les Arméniens et les Arabes. Enfin, des querelles ecclésiastiques entre les Monophysites et les Chalcédoniens, même si leur impact direct est faible, contribuent certainement à envenimer les tensions existantes. L'ensemble de ces éléments affaiblissent la coordination et la planification des forces, ce qui est l'une des raisons de la lourde défaite byzantine.


Déroulement

Pour une bonne compréhension de la bataille, il est nécessaire de différencier les différentes divisions des deux armées. Les lignes de front des Byzantins et des musulmans sont divisées en quatre parties : l'aile gauche, le centre gauche, le centre droit et l'aile droite pour les Byzantins auxquels font face respectivement l'aile droite, le centre droit, le centre gauche et l'aile gauche pour les musulmans.

Le déploiement des troupes au début de la bataille.


Vahan a reçu pour ordre de l'empereur de ne pas s'engager dans une bataille tant que l'ensemble des voies diplomatiques n'ont pas été explorées. De ce fait, Vahan envoie Grégoire puis Jabalah pour négocier mais ces efforts restent vains. Avant la bataille, à l'invitation de Vahan, Khalid vient pour négocier la paix. Ces discussions retardent la bataille d'un mois. Parmi les musulmans, le calife Omar, dont les forces à Qadisiyah sont menacés par une confrontation avec les Sassanides, ordonne à Sa`d ibn Abi Waqqas de négocier avec les Perses et envoie des émissaires à Yazdgard III, les invitant apparemment à se convertir à l'Islam. C'est probablement une tactique employée par le calife pour gagner du temps sur le front perse. Dans le même temps, il envoie des renforts de 6 000 hommes à Khalid. Cette force comprend 1 000 Sahaba (les compagnons du Prophète) dont 100 vétérans de la bataille de Badr, la première bataille de l'histoire islamique.


Le premier jour est marqué par des attaques limitées par les Byzantins.

Il semble qu'Omar a pour objectif de battre les Byzantins en premier et déploie ses meilleures troupes contre eux. Le flux continu de renforts musulmans finit par inquiéter les Byzantins qui craignent une montée en puissance adverse. Dès lors, ils se résolvent à passer à l'attaque. Les renforts qui sont envoyés aux musulmans dans la plaine du Yarmouk arrivent par petits groupes, ce qui donne l'impression de flot ininterrompu, pour démoraliser les Byzantins et les contraindre à attaquer44. La même tactique est utilisée lors de la bataille de Qadisiyah.


Jour 1

Au début du deuxième jour, les Byzantins parviennent à repousser les ailes musulmanes tout en fixant le centre de l'armée adverse.

La bataille commence le 15 août 636. À l'aube, les deux armées sont alignées pour la bataille à moins de deux kilomètres de distance l'une de l'autre. Selon les chroniques musulmanes, juste avant la bataille, George, le commandant d'une unité du centre droit byzantin, chevauche vers les lignes musulmanes et se convertit à l'islam. Il serait mort le même jour en combattant contre les Byzantins. La bataille commence lorsque les Byzantins envoient leurs champions combattre les Mubarizun musulmans. Ces derniers sont spécifiquement entraînés aux combats à l'épée et à lance pour vaincre le plus d'adversaires possible pour fragiliser le moral adverse. Au milieu de la journée, après avoir perdu plusieurs capitaines dans ces duels, Vahan ordonne une attaque limitée avec un tiers de ses forces d'infanterie pour tester la force et la stratégie de l'armée musulmane. Il compte utiliser sa supériorité numérique et la supériorité de son armement pour percer à l'endroit le plus faible de l'armée musulmane. Toutefois, l'offensive byzantine manque de conviction et beaucoup de soldats sont incapables de maintenir une pression suffisante sur les vétérans adversaires. Les combats sont généralement d'intensité modérée avec des oppositions plus féroces à certains endroits. Vahan décide de ne pas renforcer son infanterie engagée et garde les deux tiers en réserve. Finalement, à la fin de la journée, les deux armées se séparent et se retirent dans leurs camps respectifs.


Jour 2

Deuxième phase du deuxième jour. Si les musulmans parviennent à concentrer suffisamment de forces pour soulager leur aile droite, leur flanc gauche est sérieusement enfoncé par les forces byzantines.

Phase 1

Le 16 août 636, Vahan décide lors d'un conseil de guerre de lancer l'attaque juste avant l'aube pour surprendre les soldats musulmans alors qu'ils procèdent à leurs prières matinales. Il engage ses deux armées centrales contre le centre musulman pour neutraliser celui-ci. Dans le même temps, les efforts principaux sont concentrés contre les ailes de l'armée musulmane qui doivent être éloignées du champ de bataille ou repoussées vers le centre. Vahan construit un grand pavillon derrière l'aile droite de son armée pour mieux observer le déroulement des événements. Il ordonne à son armée de se préparer pour une attaque-surprise. Toutefois, à l'insu des Byzantins, Khalid se prépare à une telle offensive en plaçant une puissante ligne avancée devant son armée, pour éviter toute surprise et laisser au reste des forces musulmanes le temps de se préparer. Au centre, les Byzantins n'imposent pas une forte pression, dans le but de fixer le centre de l'armée musulmane pour l'empêcher de soutenir ses ailes. Ainsi, le centre du champ de bataille reste stable tout au long de la journée. Toutefois, sur les ailes, la situation est différente. Qanateer (le commandant de l'aile gauche byzantine constituée de Slaves) attaque en force et l'infanterie de l'aile droite musulmane doit se replier. Amr, le commandant de l'aile droit, ordonne à son régiment de cavalerie de contre-attaquer, ce qui contient l'avancée byzantine et stabilise pour un temps la ligne de front. Toutefois, la supériorité numérique byzantine finit par faire la différence et contraint les musulmans à se replier vers leurs camps49.


Phase 2

À la fin du deuxième jour, Khalid redéploie sa cavalerie d'élite pour rétablir la situation sur son flanc gauche et repousser les Byzantins sur leurs positions de départ.

Khalid, conscient de la situation sur ses ailes, ordonne à la cavalerie de son aile droite d'attaquer le flanc nord de l'aile gauche byzantine pendant que sa cavalerie d'élite doit attaquer le flanc sud de l'aile gauche byzantine. Enfin, l'infanterie de l'aile droite musulmane doit tenir le front. Cette attaque sur trois fronts contraint l'aile gauche byzantine à se replier et Amr récupère le terrain perdu avant de réorganiser ses troupes. La situation de l'aile gauche musulmane que dirige Yazid est bien plus périlleuse. Pendant que l'aile droite musulmane dispose du soutien de la cavalerie d'élite, l'aile gauche doit combattre les Byzantins qui sont plus nombreux. Dès lors, les positions musulmanes sont submergées et les soldats doivent se replier vers leurs camps. La formation en tortue de l'armée de Grégoire se déplace lentement mais fournit une excellente défense. Yazid utilise son régiment de cavalerie pour contre-attaquer sans succès. En dépit d'une farouche résistance, les hommes du flanc gauche de Yazid finissent par se replier vers leurs campements. À ce moment, le plan de Vahan semble un succès. Le centre de l'armée musulmane est fixé et ne peut soutenir ses ailes. Toutefois, aucun des deux flancs de l'armée musulmane ne cède complètement en dépit des dégâts moraux infligés. L'armée musulmane en retraite rencontre les femmes arabes laissées dans les camps. Dirigées par Hind, elles démontent leurs tentes dont elles se servent des mats comme des armes pour combattre aux côtés de leurs maris et des autres soldats dont le moral est rehaussé.


Phase 3

Au début de la troisième journée, l'armée byzantine concentre ses efforts sur la partie droite de l'armée musulmane.

Après être parvenu à stabiliser la position sur le flanc droit, Khalid ordonne à sa cavalerie d'élite de soutenir son aile gauche en difficulté. Il détache un régiment dirigé par Dharar ibn al-Azwar et lui ordonne d'attaquer le front de la force byzantine dirigée par Dairjan (le centre gauche) pour créer une diversion, afin de menacer le repli du centre droit byzantin qui s'est avancé dans les positions musulmanes. Avec le reste de sa cavalerie de réserve, il attaque le flanc de Grégoire. Là encore, confrontés à des attaques de front et sur leurs flancs, les Byzantins doivent battre en retraite tout en maintenant leur formation. Au crépuscule, les deux armées se séparent à nouveau et se retirent vers leurs positions de départ occupées le matin même. La mort de Dairjan et l'échec de Vahan laisse une grande partie de l'armée impériale démoralisée tandis que les contre-attaques fructueuses de Khalid enhardissent les musulmans en dépit de leur infériorité numérique.


Jour 3

Le 17 août 636, Vahan prend en considération ses échecs et erreurs du jour précédent. Ainsi, lorsqu'il a attaqué les flancs musulmans, ses hommes ont finalement été repoussés malgré des succès initiaux. L'armée byzantine décide alors d'opter pour un plan moins ambitieux. Vahan veut percer l'armée musulmane en des points précis. Il compte faire pression sur le flanc droit relativement exposé de ses adversaires où ses troupes montées peuvent manœuvrer plus librement. En effet, le flanc gauche des musulmans est bordé par un terrain accidenté. Il décide de charger à la jonction entre le centre droit musulman et son aile droite pour les diviser et les combattre séparément.


Khalid utilise de nouveau habilement sa cavalerie pour attaquer les Byzantins sur leurs flancs et les repousser.

La bataille reprend avec les attaques byzantines du côté droit de l'armée musulmane. Après avoir soutenu pendant un temps les assauts byzantins, l'aile droite musulmane est contrainte au repli, bientôt suivie par le centre droit. Toutefois, ces deux corps parviennent à se regrouper un peu plus loin et à tenir le terrain pour préparer une contre-attaque.


Khalid sait que l'armée byzantine se concentre sur son flanc droit. De ce fait, il peut mobiliser sa cavalerie d'élite de ce côté, conjointement avec la cavalerie affectée à l'aile droite. Le général musulman frappe le flanc droit de l'aile gauche byzantine tandis que la cavalerie de réserve du centre droit de l'armée musulmane attaque le flanc gauche du centre gauche byzantin. Dans le même temps, il ordonne à la cavalerie de l'aile droite musulmane de s'attaquer au flanc gauche de l'aile gauche byzantine. Les combats débouchent rapidement sur un bain de sang et les pertes sont lourdes des deux côtés. Les attaques de Khalid, menées au bon moment, parviennent encore à rétablir la situation. Au crépuscule, les Byzantins sont de nouveau repoussés sur les positions qu'ils occupaient le matin même.


Jour 4

Le quatrième jour, les Byzantins réessaient leur stratégie de la veille en attaquant la droite de l'armée musulmane.

Première phase

Vahan décide de poursuivre la stratégie de la veille qui est parvenue à infliger des dommages significatifs à la partie droite de l'armée musulmane. Qanateer dirige les deux armées contre l'aile droite et le centre droit des Musulmans avec le soutien des Arméniens et des Chrétiens arabes commandés par Jabalah. Les forces musulmanes sont de nouveau contraintes de se replier. Khalid intervient dans la bataille par l'envoi de sa cavalerie d'élite. Il craint alors une large offensive sur l'ensemble du front qu'il ne pourrait pas contenir. Par précaution, il ordonne à Abou Ubaidah et Yazid, qui commandent le centre gauche et l'aile gauche, d'attaquer les armées byzantines qui sont face à eux. Cette initiative neutralise le front byzantin et les empêche de mener une offensive générale.


Deuxième phase

Deuxième phase du quatrième jour : de nouveau le déploiement de cavaliers sur les points clés par Khalid parvient à contenir la poussée byzantine.

Khalid divise sa cavalerie d'élite en deux divisions et attaque les flancs du centre gauche de l'armée byzantine tandis que l'infanterie musulmane positionnée au centre droit doit l'attaquer de front. De nouveau, les Byzantins font face à une attaque sur trois côtés et doivent battre en retraite. Dans le même temps, l'aile droite musulmane repart à l'assaut avec son infanterie qui attaque de front et sa cavalerie de réserve attaque le flanc nord de l'aile gauche byzantine. Du fait que le centre gauche de l'armée byzantine bat en retraite, l'aile gauche byzantine se retrouve exposée sur son flanc sud et doit aussi se retirer.


Pendant que Khalid et sa cavalerie d'élite font face au front arménien tout au long de l'après-midi, la situation de l'autre côté du front (l'aile gauche musulmane) se détériore. Les archers à cheval byzantins sont entrés en action et soumettent les troupes de Abou Ubaidah et Yazid à de nombreux tirs, ce qui les empêche de pénétrer les lignes byzantines. De nombreux soldats musulmans sont éborgnés ou aveuglés par les flèches byzantines dans ce qui est appelé le « Jour des yeux perdus ». Les musulmans sont contraints de se replier à l'exception d'un régiment commandé par Ikrimah bin Abi Jahal situé sur la gauche des troupes d'Abou Ubaidah. Irkimah couvre la retraite des musulmans avec quatre cents cavaliers en attaquant le front byzantin tandis que le reste des troupes se regroupent pour contre-attaquer et récupérer le terrain perdu. Tous les hommes d'Ikrimah périssent ou sont blessés lors de cette journée et Ikrimah lui-même est sérieusement blessé lors des combats avant de mourir dans la soirée.


Jour 5

Le cinquième jour, Khalid rassemble sa cavalerie et envoie un escadron barrer une voie de repli sur les arrières byzantins.

Au cours des quatre jours de combats, les troupes byzantines ne sont pas parvenues à faire la moindre percée et ont subi de lourdes pertes, notamment du fait des contre-attaques sur les flancs menées par la cavalerie d'élite musulmane. Dans la matinée du 19 août, Vahan envoie un émissaire au camp musulman pour demander une trêve pour les prochains jours de manière à pouvoir mener des négociations. Il est probable qu'il veuille gagner du temps pour réorganiser ses troupes démoralisées. Toutefois, Khalid a conscience que la victoire est proche et il décline l'offre. Jusqu'à maintenant, l'armée musulmane a surtout adopté une stratégie défensive mais désormais, le général musulman sait que l'armée byzantine n'est plus apte au combat. De ce fait, il décide de passer à l'attaque et réorganise ses troupes en conséquence. Tous les régimes de cavalerie sont regroupés en une puissante force montée et la force d'élite est son élément principal. Cette troupe de cavalerie atteint 8 000 hommes. Durant le reste de la journée, aucun événement majeur ne se déroule. Khalid prévoit de piéger les Byzantins en coupant leur route de repli. Trois barrières naturelles sont présentes que sont les gorges de Wadi-ur-Ruqqad à l'est, Wadi al Yarmouk au Sud et Wadi al Allah à l'est. La route septentrionale doit être bloquée par la cavalerie musulmane. Toutefois, il existe quelques passages à travers les ravins de Wadi-ur-Ruqqad à l'ouest, profonds de deux cents mètres. La plus importante stratégiquement est celle de Ayn al Dhakar qui est un pont. Par conséquent, Khalid envoie Dharar avec cinq cents cavaliers pour assurer la maîtrise de ce point de passage. Dharar contourne l'armée adverse par le nord et parvient à s'emparer du pont sans difficultés. Cette manœuvre s'avère décisive pour les éléments à venir.


Jour 6

Au début du sixième jour, la cavalerie musulmane regroupée entame un mouvement tournant sur la gauche de l'armée byzantine.

Le 20 août 636, le dernier jour de la bataille, Khalid met en œuvre un plan simple mais audacieux. Avec son importante force de cavalerie, il compte repousser la cavalerie byzantine du champ de bataille de manière que l'infanterie, qui forme le cœur de l'armée byzantine, se retrouve privée du soutien de sa cavalerie et soit exposée à des attaques sur ses flancs et ses arrières. Au même moment, il prévoit de mener une attaque pour tourner le flanc gauche de l'armée byzantine et de la forcer à se diriger vers les ravins situés à l'ouest.


Lors de la deuxième phase de la sixième journée, la cavalerie musulmane disperse la cavalerie byzantine.

Khalid ordonne une offensive générale contre le front byzantin et envoie sa cavalerie contourner l'aile gauche adverse. Une partie de ses troupes montées affronte la cavalerie de l'aile gauche byzantine tandis que l'autre s'attaque à l'arrière de l'infanterie de l'aile gauche. Dans le même temps, l'aile droite musulmane attaque de front. Face à cette attaque en tenaille, l'aile gauche byzantine s'effondre et se replie vers le centre gauche, ce qui désorganise ce corps d'armée. Le reste de la cavalerie musulmane attaque alors la cavalerie de l'aile gauche byzantine par l'arrière alors même que les Byzantins sont déjà opposés frontalement à la moitié de la cavalerie musulmane. De ce fait, ils sont mis en déroute et s'enfuient vers le nord. L'infanterie de l'aile droite musulmane s'attaque ensuite au flanc gauche du centre gauche byzantin tandis que le centre droit musulman l'attaque de front.


Phase 3 du sixième jour : l'infanterie byzantine combat seule l'armée musulmane.

Vahan s'aperçoit du large regroupement de la cavalerie musulmane et il ordonne à la sienne de se rassembler mais n'est pas assez rapide. Avant qu'il ne parvienne à organiser ses escadrons de cavalerie lourde dispersés, Khalid a lancé ses troupes contre le reste de la cavalerie byzantine, l'attaquant sur les flancs et de front alors qu'elle est encore en cours de formation. Désorganisée et désorientée, la cavalerie lourde est rapidement mise en déroute, dispersée vers le nord, laissant l'infanterie à son sort.



Fin de la bataille et déroute byzantine.

Une fois la cavalerie byzantine mise en déroute, Khalid se retourne contre le centre gauche byzantin qui fait déjà face à une attaque sur deux fronts de l'infanterie musulmane. Il doit en plus subir une attaque sur ses arrières de la cavalerie de Khalid qui finit par le briser.

Avec la retraite du centre gauche byzantin, c'est un repli de l'ensemble de l'armée byzantine qui s'amorce. Khalid envoie sa cavalerie bloquer la voie de repli au nord. Les Byzantins se dirigent alors vers l'ouest et Wadi-ar-Ruqqad où se situe le pont tenu par Dharar qui permet un passage sûr. C'est là que l'intuition de Khalid prend son sens car il désire que les Byzantins se dirigent vers cette position. Dès lors, ils sont bientôt encerclés par les troupes adverses. Certains tombent dans les ravins avoisinants, d'autres tentent de traverser les rivières alentour dont l'accès est difficile et d'autres encore sont tués lors de leur fuite. Néanmoins, un nombre substantiel de soldats parvient à échapper au massacre. Les musulmans ne font aucun prisonnier durant la bataille même si certains Byzantins ont pu être capturés lors de la poursuite qui s'ensuit. Théodore Trythirius périt lors de la bataille tandis que Nicétas parvient à rejoindre Emèse. Jabalah parvient aussi à s'échapper avant de parvenir à un accord avec les musulmans puis de revenir dans le camp byzantin de nouveau


Conséquences

L'Empire byzantin en 717, au moment du siège de Constantinople qui marque la fin de la poussée musulmane. L'Empire a perdu tous ses territoires au Proche-Orient ainsi que l'Égypte et la Tunisie.

Immédiatement après la fin de la bataille, Khalid et sa cavalerie d'élite se dirigent vers le nord pour poursuivre les soldats byzantins qui se replient. Ils les rattrapent près de Damas et les attaquent. Dans les combats qui s'ensuivent, le commandant en chef de l'armée impériale, le prince arménien Vahan qui a échappé au sort de beaucoup de ses hommes lors de la bataille est tué. Khalid peut ensuite entrer dans Damas où il aurait été bien accueilli par les habitants.

Quand il apprend la nouvelle de cette défaite désastreuse, l'empereur Héraclius est dévasté et furieux. Il prend la responsabilité de cet échec en considérant qu'il s'agit d'une punition pour ses erreurs, notamment son mariage incestueux avec sa nièce Martina. Il aurait pu essayer de reconquérir les territoires perdus s'il en avait les moyens mais il n'a plus à sa disposition ni les effectifs ni les finances nécessaires. De ce fait, il se retire dans la cathédrale d'Antioche. Il y rassemble ses conseillers pour analyser la situation. L'avis unanime est que la défaite est une décision divine et le résultat des péchés du peuple, incluant l'empereur. Héraclius décide ensuite de rejoindre Constantinople par la mer dans la nuit. Selon certaines sources, au moment où son navire aurait appareillé, il aurait exprimé un dernier adieu à la Syrie.

Héraclius quitte la Syrie avec la relique sacrée de la Vraie Croix qui est, avec d'autres reliques conservées à Jérusalem, discrètement placée sur le navire pour la protéger des invasions arabes. Après avoir quitté la Syrie, l'empereur commence à concentrer ses forces restantes pour la défense de l'Anatolie et de l'Égypte. L'Arménie byzantine tombe aux mains des musulmans en 638-639 après qu'Héraclius a créé une zone tampon en Anatolie centrale en ordonnant l'évacuation de tous les forts situés à l'est de Tarse. La défaite du Yarmouk permet aux musulmans de s'emparer de la Syrie et de la Palestine. Cette chute rapide de ces provinces romaines depuis plusieurs siècles est encore incomplètement expliquée. La longueur de la guerre entre les Byzantins et les Sassanides de 602 et 628 et l'ampleur des destructions opérées a fragilisé ces deux empires alors même que la capacité de mobilisation militaire de l'Empire byzantin s'est réduite depuis le règne de Justinien. Ainsi, l'Empire sassanide s'effondre rapidement, miné par les guerres civiles et incapable de faire face aux musulmans. Selon George Liska, « ce conflit byzantino-perse inutilement prolongé ouvrit la voie à l’Islam ». Pour autant, si les deux empires sont fragilisés, l'Empire byzantin est encore en mesure de mobiliser des armées de grande taille, comme en témoigne sa supériorité numérique lors de la bataille du Yarmouk. Une autre conséquence de la guerre byzantino-perse a été l'appauvrissement profond du Levant byzantin, du fait de l'occupation perse. En outre, l'autorité byzantine sur ces régions est fragilisée, d'autant que les querelles religieuses avec les monophysites contribue à favoriser un climat de méfiance de la population locale face à Constantinople. Or, le régime de la cohabitation religieuse instauré par les musulmans, s'il entraîne des contraintes (statut de la dhimmitude), a pu apparaître comme un moindre mal. Le déclin de la population grecque dans la région est aussi un facteur aggravant de la perte de contrôle des Byzantins, tandis que des populations arabes de plus en plus nombreuses s'y installent. C'est donc un ensemble de facteurs (appauvrissement de l'Empire byzantin, erreurs stratégiques, perte d'autorité sur les populations locales) qui conduit à la perte de ces provinces.

À plus long terme, la conquête musulmane de la Syrie et de la Palestine isole l'Égypte byzantine qui est rapidement conquise après la bataille d'Héliopolis en 640. Là encore, les efforts byzantins pour rétablir leur autorité sur cette province sont limités. Il en de même après la conquête de l'exarchat de Carthage qui correspond à l'actuelle Tunisie (prise de Carthage en 698). En Anatolie, la progression musulmane est finalement arrêtée par les deux échecs successifs devant Constantinople, lors du siège de 674 à 678 et surtout lors du siège de 717-718. Par la suite, le front se stabilise autour des monts du Taurus et de l'Anti-Taurus et c'est seulement au xe siècle que les Byzantins parviennent de nouveau à pénétrer en Syrie du Nord et à contrôler les territoires autour d'Antioche. De ce fait, la bataille du Yarmouk entraîne un repli généralisé des forces byzantines sur un espace territorial plus réduit, d'autant que l'Empire est confronté en Europe à des menaces dans les Balkans avec les invasions slaves qui l'obligent aussi sur ce front à maintenir une posture défensive.

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