La transition vers l’agriculture en Europe du nord-ouest, initiée dès la fin du quatrième millénaire avant notre ère, marque un tournant majeur dans l’organisation sociale et économique de cette région. Ce passage progressif et varié, influencé par des contacts culturels, des migrations et des adaptations locales, montre des trajectoires différentes selon les régions, avec des influences provenant aussi bien des courants néolithiques continentaux que de l’interaction avec les populations mésolithiques indigènes.
Dans le bassin parisien, l’agriculture apparaît brutalement vers la fin du sixième millénaire av. J.-C., facilitée par l’arrivée de groupes LBK (Linearbandkeramik) venus de l’est. Ces communautés introduisent des techniques agricoles avancées et un ensemble culturel complet, incluant l’élevage de moutons, chèvres et bovins, et la culture de céréales. Les villages de maisons longues, comme celui de Cuiry-les-Chaudardes, représentent des établissements stables basés sur l’agriculture, et des cimetières plats illustrent des pratiques funéraires distinctives. Vers le milieu du cinquième millénaire, cette organisation change avec la culture Cerny, qui privilégie les enclos et des pratiques funéraires plus complexes, comme les tumulus.
Dans l’ouest de la France et en Bretagne, les premiers signes d’influence néolithique apparaissent au sixième millénaire, sans adoption immédiate de l’agriculture. Le mode de vie mésolithique se prolonge, axé sur la chasse et la pêche. Pourtant, des signes d’introduction de bétail domestique (notamment des bovins) apparaissent, comme à Locmariaquer, suggérant des contacts précoces avec le sud de la France ou des influences méditerranéennes. Des analyses isotopiques montrent un passage progressif d’un régime marin à une alimentation terrestre vers le cinquième millénaire, ce qui pourrait indiquer une adaptation graduelle aux nouvelles pratiques agricoles.
En Grande-Bretagne, les preuves de l’agriculture n’apparaissent qu’à la fin du cinquième millénaire av. J.-C., bien après son implantation dans le bassin parisien. Les enclos à chaussées et les longs tumulus de terre contiennent souvent des os de bovins et des céréales, suggérant que les pratiques agricoles se sont imposées soudainement. Les similitudes dans les types de poterie et les pratiques funéraires entre le sud de l’Angleterre et le nord de la France indiquent des échanges culturels ou des migrations, soutenus par la présence de haches en jadéite provenant des Alpes et de haches bretonnes.
Comme en Grande-Bretagne, l’Écosse adopte l’agriculture tardivement. Les fouilles à Balbridie montrent des traces de grandes maisons en bois et de grains carbonisés vers 3900 av. J.-C., signalant une agriculture naissante. L’absence de preuves de faune domestique dans certaines régions peut être liée à l’acidité des sols, mais les îles Orcades offrent des informations précieuses. La ferme de Knap of Howar sur Papa Westray illustre une exploitation mixte de ressources domestiques et marines, témoignant de l’intégration des animaux domestiques dans l’économie locale.
En Irlande, l’adoption de l’agriculture est également progressive. Les traces de bovins domestiques à Ferriter’s Cove au milieu du cinquième millénaire révèlent des échanges précoces avec les communautés agricoles continentales, même si ces contacts ne conduisent pas immédiatement à une agriculture durable. L’implantation définitive de l’agriculture se fait vers 3800-3700 av. J.-C., marquée par l’apparition de maisons rectangulaires, de poteries et de monuments funéraires, inscrivant pleinement l’Irlande dans le néolithique européen.
La diffusion de l’agriculture en Europe du nord-ouest s'est étalée sur plusieurs siècles, se réalisant différemment selon les régions. Dans certaines zones, comme le bassin parisien et le sud de la Grande-Bretagne, les migrations semblent avoir joué un rôle central, apportant directement les pratiques agricoles. En revanche, en Bretagne et en Irlande, les interactions entre chasseurs-cueilleurs indigènes et agriculteurs migrants ont conduit à une adoption progressive et plus complexe de l’agriculture.
Auteur : Stéphane Jeanneteau
Juillet 2012