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Les russes

Les origines

La grande plaine de l'Europe orientale est entrée beaucoup plus tard dans l'histoire que les régions de l'Ouest et surtout du Sud de l'Europe. Alors que les pays méditerranéens avaient derrière eux de longs siècles de civilisation, la Russie d'aujourd'hui était encore la Scythie, en pays semi-hyperboréen, connu seulement par des légendes fabuleuses. Seules, les côtes du Sud, entre l'embouchure du Danube et le Caucase, avaient été parcourues par des navigateurs grecs, probablement dès le IXe et le VIIIe siècle avant notre ère; un peu plus tard, nous y trouvons une série de colonies milésiennes, phocéennes, etc., entre lesquelles, il faut citer Olbia, non loin de l'emplacement actuel d'Odessa, Feodosia (Caffa), Chersonèse, sur la côte Sud de la Crimée, Panticapée, près du détroit de Kertch. Riches, grâce surtout à l'exportation des grains, ces colonies n'ont pourtant qu'une existence assez précaire. Elles sont constamment menacées, en effet, par les populations de l'intérieur. Si quelques-uns de ces Barbares, comme les Scythes royaux d'Hérodote, paraissent avoir joui d'une civilisation relativement avancée, les autres sont des nomades, sans autre industrie que l'exploitation régulière des villes grecques. Fondées et détruites à plusieurs reprises, les colonies grecques n'ont pas eu d'influence durable sur leurs farouches voisins.

Il ne faudrait pourtant pas en conclure que les occupants actuels de l'Europe orientale soient les descendants directs des Scythes d'autrefois : probablement, dès ce temps, parmi les tribus de descendance indo-européenne, il y en avait d'autres d'origine finnoise ou turque; il ne faut pas oublier; d'autre part, que, dans ces immenses plaines où nul obstacle n'arrête un envahisseur, les peuples se balayent et se remplacent avec une grande facilité. Les Scythes de l'époque grecque sont remplacés à l'époque romaine par les Sarmates : au IVe siècle, les Goths ont soumis ceux-ci et fondé, de la Baltique à la mer Noire, un grand empire qui succombe, au siècle suivant, sous les coups des Huns, dont la domination éphémère disparaît au Ve siècle, laissant à elles-mêmes les tribus éparses, qui, au Ier et au IIe siècle, avaient occupé la plaine de l'Oder à la Volga.

Si nous laissons de côté les pays riverains de la Baltique et du Niémen, ceux des rivages de la mer Noire et les pays caucasiques, lesquels ont eu leur histoire particulière jusqu'à l'époque moderne, il paraît que les populations de la grande plaine russe se répartissaient au Moyen âge entre deux groupes Finnois et Slaves. 

A l'Est, ce sont des Finnois qui, parfois mélangés de populations turques, s'agglomèrent en groupes guerriers, tels que les Avars, les Bulgares, les Magyars, mais qui, la plupart du temps, restent isolés et paisibles dans les forêts du bassin supérieur et moyen de la Volga. Ils avaient fondé, à une époque fort ancienne, le royaume de Biarmie, qui s'étendait de la haute Volga à l'Oural et à la mer Blanche; sa capitale était Perm; il était riche et commerçant, échangeant contre les produits de l'Inde et de la Perse ses fourrures et les denrées du Nord; les routes de la Volga et de la mer Blanche étaient dès ce moment fréquentées, et les Vikings ont souvent dirigé leurs expéditions vers la Biarmie. 

En 870, Ottar faisait un voyage vers la mer Blanche dont le roi Alfred d'Angleterre lui fit rédiger le récit; on cite encore l'expédition de Karli, Gunstein et Therer Hund, lesquels rapportèrent du pillage du temple de loumala, à l'embouchure de la Dvina, d'immenses richesses. Les relations commerciales avec la Biarmie se se continuent jusqu'en 1222; la tradition en fut conservée, et, au XVIe siècle, les Anglais essayaient de rouvrir la navigation par la mer Blanche. Le royaume de Biarmie succomba en 1236, sous les coups des Mongols. Il a eu son histoire à part, et c'est seulement aux temps modernes qu'il fut incorporé à la Russie. Les autres tribus finnoises ne sont pas parvenues à ce degré d'organisation, et l'histoire politique de la Russie est celle des Slaves.

Etablis à l'Ouest de la grande plaine, les Slaves ou Vendes étaient plus avancés en civilisation, déjà laboureurs, déjà groupés autour de villes ou plutôt d'enclos fortifiés (gorodichtché), dont l'archéologie a retrouvé d'innombrables vestiges dans les bassins de la Vistule, de la Duna, du Dniepr, de la Volga. La région qui possède les sources de ces trois fleuves, le plateau central de l'isthme ponto-baltique, paraît avoir été le plateau d'essaimement des Slaves, l'acropole dont ils sont partis pour la conquête de l'Europe orientale, conquête pacifique, du reste, faite par la charrue plus que par les armes et dénuée d'événements historiques qui puissent en marquer les étapes. 

Les Slaves, en effet, ne forment ni un peuple, ni même une fédération de tribus : leurs populations, que seul réunit lien linguistique (les langues balto-slaves) sont isolées les unes des autres, indépendantes les unes des autres, anarchiques, comme le remarquent les historiens byzantins. C'est cet état d'incohérence qui a rendu possible, la formation des empires goth ou hun, et, au XIe siècle, celle de l'empire russe, grâce auquel les Slaves de l'Est entreront enfin dans l'histoire de l'Europe.


Le commencement de l'histoire russe

La partie méridionale et la partie orientale de ce qui allait être la Russie étant occupées, le centre lui-même étant asservi, c'est du Nord et de l'étranger que le salut est venu à la Slavie de l'Est. Des Germains, arrivant de Scandinavie, avaient pris pied au moins dès le VIIIe siècle dans la région du lac Ladoga et de l'Ilmen, et vers les sources de la Volga et du Dniepr. La célèbre Chronique de Nestor ou Chronique des temps passés (XIVe siècle) les appelle Russes, nom dont l'origine n'est pas connue, et aussi Varègues, dérivé d'un mot scandinave qui désignait des mercenaires. Au moment même où d'autres Scandinaves pillaient les côtes d'Angleterre et de France (Les Vikings), les Varègues d'outre-mer selon Nestor, se firent paver tribut en 859 par les Finnois et par les Slaves du Nord. Ceux-ci, après avoir chassé les Varègues, et ne pouvant s'entendre ni se gouverner eux-mêmes, auraient demandé eux-mêmes aux Varègues de venir leur assurer « l'ordre et la justice ».

Toujours est-il que, vers 862, sous la conduite de trois frères : Rurik, Sineous et Trowor, les Varègues vinrent en nombre et fondèrent des villes. Rurik  fonda un État qui avait pour capitale Novgorod. Son successeur, Oleg (879-912), l'agrandit considérablement vers le sud, il prit Smolensk et Kiev où il s'établit comme prince et, selon la tradition, dit-: «  Cette ville sera la mère des villes russes. »


Les Russo-varègues, d'ailleurs rapidement assimilés, eurent la hardiesse, l'esprit d'aventure, les moeurs de conquête et de pillage qui caractérisaient les Vikings. Les princes, pendant longtemps, gardèrent la physionomie de chefs de bande, guerroyant contre les tribus slaves, contre les Finnois, jusqu'à la Volga, au Caucase et à la Caspienne. Surtout, ils subirent, comme tous les Barbares, la fascination de Constantinople, de sa civilisation, de ses fabuleuses richesses. Dès 865, Askold et Dir, avec 200 barques, descendent le Dniepr pour aller assiéger Constantinople. En 907, Oleg organise une nouvelle expédition, assiège Constantinople et conclut avec Byzance un avantageux traité de commerce. 

A peine créée, la Russie convoitait déjà cette ville que les Russes appelaient Tsarigrad ( = la Ville Impériale). A maintes reprises, ils renouvelèrent cette attaque et obtinrent de l'argent. Ainsi, Igor (912-945) s'associe aux Petchénègues (Les Turkmènes) pour attaquer la capitale de l'Empire d'Orient. Sviatoslaw (945-972) profite des luttes de Byzance et de la Bulgarie pour pénétrer jusqu'aux régions danubiennes et songe même à transférer sa capitale dans les Balkans. Vers cette époque, les princes varègues cessèrent  de recevoir des recrues suédoises et oublièrent leur origine. Vers la fin du Xe siècle, toute distinction s'effaça entre les descendants des Vikings et leurs sujets. Mais les coutumes conservèrent l'empreinte scandinave. La société, jadis démocratique, tendait vers l'aristocratie : les boïars (seigneurs) commençaient à reléguer dans la misère et le servage les moujiks (paysans).

Vladimir Ier le Grand (gravure de 1889).

Une nouvelle évolution eut lieu quand un des fils de Sviatoslaw, Vladimir (980-1015), épousa une princesse byzantine. Ce mariage de Vladimir, « le Clovis de la Russie », avec Anne, soeur de l'empereur Basile II, eut pour conséquence le baptême de ce prince vers 990. Sous son fils Iaroslav le Grand (1015-1054), le christianisme devint pour les Russes une religion vraiment populaire et nationale. Ce fut le christianisme byzantin qu'ils adoptèrent. Les métropolites de Kiev étaient grecs et dépendaient du patriarche de Constantinople. Les « grands-princes» russes épousaient des princesses grecques. La Russie emprunta l'art et la littérature de Byzance. Culturellement, elle devint une colonie byzantine. 

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