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L’épopée des terres boréales : Histoire du Groenland et de l’Islande jusqu'au XIVe siècle.

L’origine des premières installations humaines

Les territoires du Groenland et de l’Islande, longtemps perçus comme des confins glacés, furent le théâtre de migrations et d’installations humaines à partir de l’âge des Vikings. Cependant, avant même l’arrivée des colons nordiques, ces terres étaient déjà fréquentées par des populations autochtones et explorateurs.

Les premières preuves d’occupation de l’Islande datent de la fin du IXe siècle. Ce furent principalement des Norvégiens, poussés par les bouleversements politiques dans leur pays natal, qui s’aventurèrent dans ces contrées. Harald Ier de Norvège, en tentant d’unifier le royaume, provoqua une vague d’exodes. Ingólfr Arnarson, considéré comme le premier colon permanent, choisit de s’établir à Reykjavík en 874. Les sagas nordiques, comme la "Saga de l’île", relatent ces événements, témoignant des aspirations de ces colons à recréer une société agricole et pastorale en harmonie avec les rudes conditions nordiques.

Cependant, des traces archéologiques suggèrent que des moines celtes, connus sous le nom de "papar", auraient exploré l’île avant les Scandinaves. Ces ermites, adeptes de la solitude spirituelle, auraient quitté les lieux à l’arrivée des premiers Vikings, comme en témoignent certains textes du moyen âge.

Le Groenland, quant à lui, offre une histoire plus ancienne encore. Les cultures pré-inuit, comme celles de Saqqaq (2500-800 av. J.-C.) et de Dorset (500 av. J.-C. - 1500 apr. J.-C.), occupèrent ces territoires bien avant les explorateurs nordiques. Ces peuples, spécialisés dans la chasse aux mammifères marins et la pêche, développèrent des outils et des techniques adaptés à leur environnement extrême. L’arrivée des Vikings, dirigés par Erik le Rouge vers 982, marqua un tournant. Attirés par les descriptions d’une terre fertile, ils fondèrent des colonies, notamment celles d’Eystribyggð et de Vestribyggð.

Ces deux territoires, bien que différents dans leur géographie et leur histoire, illustrent une fascinante capacité d’adaptation humaine face à des conditions naturelles exigeantes et des bouleversements sociaux. L’interaction entre autochtones et colons nordiques y façonna des traditions qui allaient influencer durablement leur développement.


L’âge des Vikings : conquête et exploration

Les prouesses maritimes des Vikings

Les Vikings étaient célèbres pour leur maîtrise de la navigation. Grâce à des navires adaptés, tels que les drakkars, ils purent explorer des territoires lointains et inhospitaliers. En combinant observation des étoiles, connaissances des courants marins et expérience des vents, ils surent traverser des mers souvent hostiles pour atteindre des terres vierges comme l’Islande et le Groenland.

Erik le Rouge et la colonisation du Groenland

Erik le Rouge, figure emblématique de cette époque, joua un rôle clé dans la colonisation du Groenland. Exilé d’Islande pour meurtre, il aurait exploré les côtes groenlandaises vers 982, s’aventurant dans un territoire encore inconnu des Scandinaves. Selon les sagas, Erik donna au pays son nom, évoquant les riches prairies qu’il découvrit pour attirer d’autres colons. Deux colonies principales virent le jour : Eystribyggð (colonie de l’Est) et Vestribyggð (colonie de l’Ouest), qui devinrent des centres agricoles et commerciaux prospères.

L’Althing : un modèle de gouvernance unique en Islande

L’Islande, pendant ce temps, développa un système politique unique. En 930, les habitants fondèrent l’Althing, l’un des premiers parlements au monde. Ce système de gouvernance communautaire reposait sur le consensus et permettait de régler les conflits de manière pacifique. Les assemblées locales, appelées "thing", jouèrent un rôle crucial dans l’élaboration des lois et la préservation des traditions culturelles.

Les sagas et la culture viking

Les sagas islandaises, telles que "La Saga de Njall" ou "La Saga des Groenlandais", constituent un héritage culturel remarquable. Ces récits épiques, mêlant faits historiques et légendes, offrent un aperçu précieux de la vie des colons nordiques. Elles témoignent de leur vision du monde, marquée par le courage, l’aventurisme et le respect des traditions ancestrales.Ces multiples aspects de l’âge viking montrent à quel point cette période fut décisive pour l’histoire du Groenland et de l’Islande.


Le déclin des colonies et les défis climatiques

Les effets du Petit Âge glaciaire sur les colonies

Dès le XIVe siècle, les colonies du Groenland commencèrent à souffrir des bouleversements climatiques liés au Petit Âge glaciaire. Cette période, marquée par un refroidissement global, entraîna des hivers plus longs, des étés plus courts et une baisse générale des températures. Pour les agriculteurs groenlandais, ces changements furent catastrophiques : les récoltes diminuaient, les pâturages se raréfiaient, et le bétail peinait à survivre aux rigueurs hivernales.

Par ailleurs, les habitants des colonies furent confrontés à des événements climatiques extrêmes, tels que des tempêtes violentes et des périodes de gel prolongé. Ces conditions difficiles perturbèrent également les activités de chasse et de pêche, qui constituaient des ressources vitales pour la survie des populations locales.

L’isolement croissant des colonies groenlandaises

L’isolement géographique du Groenland fut exacerbé par des changements dans les routes commerciales et maritimes. Avec le déclin de l’Empire norvégien et la réduction des échanges transatlantiques, les colonies groenlandaises se retrouvèrent de plus en plus coupées de l’Europe. Cette rupture avec le continent eut des conséquences dramatiques : l’approvisionnement en outils, en bois et en autres produits essentiels diminua considérablement, ce qui affaiblit encore davantage la résilience des habitants.

De plus, la compétition avec d’autres centres de commerce émergeants, notamment en Scandinavie et en Islande, relégua les colonies groenlandaises à un statut marginal. Le commerce de l’ivoire de morse, jadis florissant, pâtit de la concurrence d’autres marchés et de l’évolution des goûts en Europe.

Les épidémies et les tensions internes en Islande

En Islande, bien que l’Althing ait survécu, le pays fut confronté à des épidémies récurrentes et à des conflits internes qui affaiblirent la cohésion sociale. La peste noire, qui dévasta une grande partie de l’Europe, atteignit également les régions nordiques, réduisant significativement la population islandaise. Les réductions de main-d’œuvre accentuèrent les difficultés économiques et la dépendance vis-à-vis des importations extérieures.

Au XIIIe siècle, la Norvège imposa son autorité sur l’Islande, ce qui mit fin à l’indépendance politique de l’île. Cette domination externe contribua à l’affaiblissement des structures locales et à une dépendance accrue envers la couronne norvégienne. Malgré ces défis, certaines traditions islandaises, telles que les sagas et les récits oraux, continuèrent à prospérer, préservant l’identité culturelle de l’île.

La résilience des traditions face à l’adversité

Malgré ces bouleversements, la résilience des sociétés groenlandaises et islandaises fut remarquable. Les colons surent adapter leurs modes de vie à des environnements de plus en plus hostiles, faisant preuve d’ingéniosité et de persévérance. En Islande, les institutions comme l’Althing jouèrent un rôle central dans la préservation d’un sens d’unité communautaire, tandis que le Groenland, bien que finalement abandonné, laissa un héritage durable dans les archives historiques et les vestiges archéologiques.

Ces événements illustrent à quel point les dynamiques climatiques, sociales et économiques peuvent transformer des sociétés humaines, tout en soulignant la capacité d’adaptation et la volonté de survivre face à l’adversité.



Sources et références

  • Diamond, Jared. Effondrement : Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie. Gallimard, 2006.
  • Fitzhugh, William W. et Ward, Elisabeth I. Vikings: The North Atlantic Saga. Smithsonian Institution Press, 2000.
  • "The Sagas of Icelanders." Penguin Classics, 2001.
  • Arneborg, Jette et al. "Norse Greenland Archaeology." Journal of the North Atlantic, 2006.

Auteur : Stéphane Jeanneteau

Date : Mars 2015