Philippe V, né en 1294, est l'un des monarques les moins connus de la lignée capétienne, pourtant son règne, bien que bref, fut déterminant pour l’histoire de la France. Surnommé "Le Long", à cause de sa grande taille, il était le deuxième fils de Philippe le Bel et de Jeanne de Navarre. Son accession au trône ne semblait pas évidente au départ, étant donné qu’il était derrière son frère aîné, Louis X, dans l'ordre de succession. Cependant, la mort prématurée de son frère Louis, suivie de celle de son neveu, Jean Ier le Posthume, laissa la couronne sans héritier direct mâle. Cette crise dynastique donna à Philippe l'occasion de prendre le pouvoir.
En 1316, après la mort de son frère, Philippe fut d'abord nommé régent en attendant que la situation se stabilise. Mais, avec la naissance et la mort rapide du fils de Louis X, Jean Ier, il devint évident que la succession serait contestée. Le royaume de France était plongé dans une incertitude politique et juridique profonde. Philippe, usant de prudence et de diplomatie, réussit à s’imposer comme roi. En janvier 1317, il fut couronné à Reims, et son autorité fut confirmée par les États généraux qui validèrent son ascension au trône, tout en adoptant la loi salique, qui excluait les femmes de la succession au trône de France.
Cette période de transition fut marquée par une forte opposition de la part de certaines factions nobles, notamment du côté des frères et cousins du défunt Louis X. Plusieurs des grands seigneurs du royaume contestaient la légitimité de Philippe, argumentant que la fille de Louis X, Jeanne, avait des droits sur la couronne. Malgré ces oppositions, Philippe V réussit à sécuriser son pouvoir grâce à un mélange de stratégie politique habile, de soutien populaire et d’une série de décisions administratives qui renforcèrent son autorité.
Le contexte de crise après la mort de Louis X et l'instabilité du royaume nécessitaient une figure forte pour garantir l'unité du pays. Ainsi, Philippe V entra dans l’histoire comme un roi pragmatique, parvenant à naviguer entre les ambitions personnelles des nobles et les exigences du trône. Ce fut cette combinaison de circonstances exceptionnelles et de décisions politiques astucieuses qui façonna son ascension et son règne.
Philippe V, surnommé "Le Long", se distingue par son approche réformatrice et sa volonté de structurer et moderniser l’administration royale. Bien que son règne ne dure que six années (1316-1322), il marque un tournant dans l’histoire des institutions capétiennes. Philippe V s’efforça de renforcer le pouvoir royal en réorganisant de manière significative les structures administratives et judiciaires du royaume. L’Hôtel du Roi, le Parlement et la Chambre des Comptes furent refondés et renforcés sous son impulsion, devenant des instruments puissants de contrôle centralisé. Cette réorganisation visait à assurer une meilleure gestion des finances et une plus grande autorité royale face aux puissantes familles seigneuriales du royaume.
Outre ces réformes administratives, Philippe V entreprit également une série de réformes financières et juridiques. Il chercha à établir une plus grande uniformité dans le royaume, notamment par l’introduction de mesures destinées à uniformiser les poids, les mesures et les monnaies. Cette dernière réforme, bien que novatrice, rencontra une forte résistance, notamment en raison des pratiques séculaires profondément enracinées dans les régions du Midi. La monnaie seigneuriale, qui circulait largement dans ces territoires, était un élément central du pouvoir local, et la tentative de Philippe de centraliser le contrôle monétaire suscita des tensions. Les États généraux, qui réunissaient les représentants des trois ordres (clergé, noblesse, et tiers état), furent partagés sur cette question, certains soutenant la réforme tandis que d’autres y voyaient une atteinte à leurs droits et à leurs privilèges économiques. La résistance à la réforme monétaire reflétait ainsi les difficultés de Philippe à imposer une centralisation complète et à convaincre une population habituée à un certain degré d’autonomie locale.
Le domaine religieux fut également un terrain où Philippe V chercha à exercer son influence, bien qu’il n’eût pas toujours les résultats escomptés. Son rapport avec le pape Jean XXII, élu en 1316 après la mort de Clément V, fut crucial dans ses tentatives d’organiser une croisade pour reconquérir les terres saintes, un projet qui aurait consolidé la position de la France en Europe. Cependant, le projet ne put aboutir en raison des conflits internes en Europe, de la situation précaire de la papauté, et de l’opposition à une nouvelle croisade, tant à l’intérieur du royaume qu’au niveau international. La France, déjà confrontée à des problèmes internes liés à la succession et à la pression fiscale, n’était pas prête à se lancer dans un tel engagement militaire.
Par ailleurs, le climat social de l’époque fut marqué par des tensions religieuses et ethniques, exacerbées par les politiques de Philippe. Après l'expulsion des Juifs sous le règne de son père Philippe le Bel, Philippe V permit leur retour en France, mais leur situation demeura précaire. Ils furent accusés, au début des années 1320, d’avoir conspiré avec les lépreux pour empoisonner les puits, une accusation sans fondement qui reflétait les peurs irrationnelles de l’époque. En réponse à cette crise, Philippe soutint une série de mesures répressives, autorisant des persécutions et des exécutions massives. Des milliers de Juifs furent arrêtés, certains furent brûlés vifs, et de nombreux biens furent confisqués par la couronne. Cette politique antisémite, combinée aux persécutions des lépreux, provoqua une intensification des divisions sociales et religieuses, marquant une période de terreur pour les communautés accusées.
Les événements de cette période illustrent les tensions croissantes au sein du royaume, où la peur et l’intolérance se nourrissaient des rumeurs et des croyances populaires. Bien que Philippe ait cherché à maintenir l'ordre, sa politique répressive renforça les fractures sociales et aggrava les divisions internes, minant ainsi la stabilité sociale et économique du royaume à long terme. Par ses actions contre les Juifs et les lépreux, Philippe V contribua à l’intensification des politiques antijuives et de persécution qui caractérisèrent une large partie du Moyen Âge.
Dans l’ensemble, bien que Philippe V ait introduit des réformes administratives ambitieuses, son règne fut également marqué par des actions répressives et une politique de centralisation qui ne parvint pas à pacifier entièrement le royaume. Son influence sur le développement institutionnel de la France est indéniable, mais son héritage en matière de politique sociale et religieuse est bien plus complexe, car il reflète les tensions et les injustices de l’époque.
Le règne de Philippe V est fondamentalement marqué par l’instauration de la loi salique, un acte juridique qui exclut les femmes de la succession au trône de France. Cette décision, prise lors des États généraux de 1317, représente non seulement un tournant majeur dans l’histoire politique du royaume, mais aussi dans le développement du droit dynastique français. En rejetant la possibilité d’une reine régnante et en affirmant que la couronne ne se transmettait que par ligne masculine, Philippe V ancrait dans la législation une règle qui deviendra essentielle pour les générations futures.
La loi salique n'était pas une nouveauté en soi, car elle s'appuyait sur des traditions anciennes concernant la succession. Toutefois, son adoption formelle sous Philippe V marqua son inscription dans les textes juridiques et fit d’elle une base fondamentale du droit royal. Cette règle, bien qu’ayant l’apparence d’une mesure pragmatique pour résoudre les crises de succession, souligna également l’influence grandissante des États généraux et du Parlement dans la prise de décisions majeures pour le royaume.
Toutefois, l’implémentation de cette loi eut des répercussions politiques importantes, et notamment des conflits avec l’Angleterre. En effet, Édouard II, roi d’Angleterre, qui avait des prétentions sur le trône de France en raison de son lien de parenté avec la maison capétienne par sa mère, Isabelle de France, protesta vigoureusement contre cette décision. La loi salique, en excluant Jeanne, fille de Louis X, de la succession, semblait légitimer l'ascension de Philippe V au trône, tout en écartant son propre droit à la couronne française. Ce conflit sur la légitimité de la succession française allait poser les bases des tensions futures entre les deux royaumes, contribuant ainsi à la guerre de Cent Ans. La question de la succession dynastique devient un axe majeur de la rivalité franco-anglaise, que Philippe V, par son autorité, contribua à façonner.
Sur le plan extérieur, Philippe V réussit à signer un traité de paix en 1320 avec la Flandre, après plusieurs années de tensions militaires. La guerre de Flandre, qui opposait la France à la région flamande, avait été déclenchée principalement à cause de différends commerciaux et des tensions entre les seigneurs locaux et la couronne française. L’accord de paix signé en 1320 marqua une victoire diplomatique pour Philippe, qui récupéra plusieurs territoires stratégiques, dont Lille, Douai et Orchies. Ces villes, cruciales sur le plan économique et militaire, étaient essentielles pour la défense du royaume et la stabilité de ses frontières septentrionales. La paix avec la Flandre permettait ainsi à Philippe de se concentrer sur d'autres défis internes et de renforcer la position de la France face à ses ennemis extérieurs.
Cette paix, tout en consolidant les frontières du royaume, eut également des implications pour la dynamique politique en Europe. En récupérant ces terres, Philippe V affirmait la souveraineté de la monarchie française sur ses possessions du Nord, tout en envoyant un message fort aux autres puissances européennes, notamment l'Angleterre, qui surveillait attentivement les évolutions en France. Le traité marqua un tournant dans la politique étrangère de Philippe V, renforçant son autorité face aux seigneurs locaux et donnant à la France un air de stabilité diplomatique, du moins pour un temps.
Cependant, le règne de Philippe V ne se limita pas à la gestion des affaires extérieures. À l’intérieur du royaume, il dut également faire face à des révoltes populaires qui mirent en lumière les faiblesses du système économique et social de la France. L’une des révoltes les plus notables fut celle des Pastoureaux en 1320, un mouvement populaire qui bouleversa l’ordre social dans le royaume. Ce groupe de paysans, largement composé de jeunes hommes, se révolta sous la direction d’un prêtre interdit et d’un moine défroqué. Bien qu’ils se soient initialement présentés comme des croisés partant pour la Terre Sainte, leur mouvement dégénéra rapidement en une forme de rébellion contre l’autorité du roi.
Les Pastoureaux, après avoir pris Paris et s’être livrés à des pillages, se dirigèrent vers le Sud, où ils commirent des atrocités contre les Juifs, qu'ils accusaient de tous les maux de la société, en particulier de l'empoisonnement des puits. Philippe V réagit avec une grande brutalité, ordonnant leur répression et la poursuite des responsables. Ce mouvement de révolte, bien que réprimé rapidement, souligna la pression énorme exercée sur les populations paysannes et les classes populaires, qui souffraient de la fiscalité lourde et de l'instabilité sociale.
Les troubles internes, dont la révolte des Pastoureaux n'était qu'un exemple parmi d'autres, mirent en évidence l’écart grandissant entre les classes dirigeantes et les paysans, ainsi que les difficultés économiques de la France. En réponse, Philippe V chercha à renforcer son contrôle sur le royaume, mais ses efforts ne purent éviter l'aggravation de la fracture sociale. L'instabilité croissante se conjuguait avec une fiscalité de plus en plus oppressante, rendant difficile l'adhésion des sujets aux politiques du roi.
Ainsi, bien que Philippe V ait réalisé des avancées diplomatiques significatives et renforcé la position géopolitique de la France, son règne fut également marqué par de profondes tensions internes, tant sociales qu'économiques. Ces luttes internes et externes façonnèrent son héritage et laissèrent une empreinte durable sur l’histoire du royaume.
Philippe V, bien que régnant pendant une période relativement courte, laissa un héritage durable, particulièrement en matière d'administration et de centralisation du pouvoir royal. Son règne marqua une étape importante dans l’évolution de la monarchie capétienne vers un modèle plus organisé et plus structuré, notamment grâce à ses réformes administratives et financières. Philippe V chercha à renforcer le contrôle royal sur les affaires publiques et à assurer une gestion plus rigoureuse des finances. Il adopta une série d'ordonnances visant à clarifier et rationaliser les processus administratifs, un effort essentiel pour stabiliser un royaume qui faisait face à des défis internes et externes.
Sous son autorité, le système des finances fut réorganisé, et un contrôle plus strict fut exercé sur les recettes et les dépenses de l'État. Les ordonnances relatives à la comptabilité et à la gestion du Trésor royal marquèrent une étape vers une plus grande transparence et une meilleure régulation des ressources. L’administration territoriale fut également renforcée, avec des mesures visant à simplifier l'administration locale et à assurer une plus grande cohérence dans la gestion des provinces. Ces réformes ont jeté les bases d’un système plus moderne et plus intégré, qui préfigurait les évolutions politiques et administratives des siècles suivants.
En plus de ses réformes administratives, Philippe V se distingua par son souci d’une meilleure organisation de la justice. Il poursuivit l’œuvre de ses prédécesseurs en consolidant les institutions judiciaires, notamment en renforçant le rôle du Parlement et en mettant en place des régulations pour garantir une justice plus équitable et plus centralisée. Ces avancées législatives contribuèrent à une administration plus homogène et renforcèrent la position de la monarchie face aux seigneurs et aux autres pouvoirs locaux.
Malgré ces réalisations administratives importantes, le règne de Philippe V fut également marqué par des tensions économiques et sociales qui eurent des conséquences lourdes pour son héritage. Le roi imposa des impôts élevés afin de financer ses projets et ses réformes, mais cette politique fiscale se révéla très impopulaire, notamment auprès des paysans et des villes qui souffraient déjà de la lourde fiscalité. La répression des révoltes, comme celle des Pastoureaux, en 1320, témoigne du mécontentement croissant face à ces mesures. Les difficultés économiques, exacerbées par des épidémies et des mauvaises récoltes, renforcèrent le ressentiment des classes populaires contre une monarchie jugée de plus en plus déconnectée de leurs réalités quotidiennes.
L’un des aspects les plus controversés de son règne fut sa politique envers les Juifs. Après leur expulsion sous Philippe le Bel, Philippe V autorisa leur retour en France, mais leur situation resta extrêmement fragile. En 1321, les Juifs furent accusés d’avoir conspiré avec les lépreux pour empoisonner les puits, un complot imaginaire qui alimenta les persécutions. Philippe soutint ces accusations sans fondement, et ordonna des confiscations massives de biens appartenant aux Juifs, renforçant ainsi une politique antisémite qui marqua les esprits. Cette répression, loin de résoudre les tensions sociales, ne fit qu'aggraver le climat de peur et de suspicion, créant des fractures profondes au sein du royaume.
Ces tensions, alimentées par la fiscalité élevée et la persécution des Juifs, contribuèrent à la fragilité du règne de Philippe V et préparèrent le terrain pour des crises futures. En dépit des avancées administratives, ces décisions controversées minèrent la confiance du peuple dans la monarchie et laissèrent un héritage moins favorable. L’opposition croissante à sa politique fiscale et sociale contribua à une instabilité qui affecta non seulement la fin de son règne, mais aussi les années suivantes sous ses successeurs.
Ainsi, bien que Philippe V ait laissé un royaume plus organisé et plus structuré administrativement, ses décisions fiscales et ses mesures répressives renforcèrent les tensions sociales et économiques. Ces défis, combinés à des politiques controversées, eurent un impact durable, préparant le terrain pour les troubles futurs dans la monarchie capétienne.
Auteur : Stéphane Jeanneteau
Date : Octobre 2013