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La bataille d'Hastings 1066

Le roi d'Angleterre Édouard le Confesseur meurt sans laisser d'enfants le 4 ou le 5 janvier 10661. Le witan, assemblée composée des principaux nobles et ecclésiastiques du royaume, élit pour lui succéder le comte de Wessex Harold Godwinson, le plus riche et le plus puissant baron d'Angleterre. Il est couronné dès le lendemain de la mort d'Édouard.

Deux adversaires de taille ne tardent pas à contester la succession du roi défunt. Le duc Guillaume de Normandie affirme qu'Édouard l'avait choisi comme successeur, et qu'Harold avait juré de respecter cet arrangement. Édouard avait passé une bonne partie de sa jeunesse en exil à la cour de Normandie, et après son arrivée au pouvoir, il s'était entouré de conseillers normands. Il est possible qu'ils aient encouragés les ambitions de Guillaume. De son côté, le roi de Norvège Harald Hardrada met en avant un accord conclu entre son prédécesseur, Magnus le Bon, et Hardeknut, le prédécesseur d'Édouard, en vertu duquel l'Angleterre et la Norvège reviendraient à l'autre si l'un d'eux mourait sans laisser d'héritier. Chacun de son côté, Guillaume et Harald rassemblent leurs forces pour envahir le royaume qu'ils estiment leur revenir de droit. Le passage de la comète de Halley dans le ciel de l'Europe au mois d'avril fait l'objet de nombreux commentaires, et certaines chroniques l'associent à la crise de succession anglaise.


L'invasion norvégienne

Début septembre, Harald débarque en Angleterre à la tête d'une flotte de plus de 300 navires, avec peut-être 15 000 hommes sous ses ordres. Il reçoit des renforts menés par Tostig, le frère exilé du roi Harold, qui avait harcelé les côtes anglaises quelques mois plus tôt avec ses propres navires. Après avoir battu l'armée des comtes Edwin de Mercie et Morcar de Northumbrie le 20 septembre à Fulford, Harald occupe York, la deuxième ville du royaume.

Ayant attendu plusieurs mois le débarquement des troupes de Guillaume sur la côte sud, Harold renvoie ses troupes chez elles pour les moissons le 8 septembre, ainsi que sa flotte. Lorsqu'il apprend l'invasion norvégienne, il se précipite vers le nord en rassemblant une armée en route. Il tombe sur les Norvégiens par surprise et les bat à Stamford Bridge le 25 septembre. Les envahisseurs subissent de lourdes pertes : Harald et Tostig sont tués, et sur les 300 navires de la flotte d'invasion, 24 suffisent à ramener les survivants chez eux. Néanmoins, la victoire n'a pas été sans coût pour les Anglo-Saxons : leur armée en ressort sérieusement affaiblie.


Les préparatifs de Guillaume

Guillaume est contraint d'assembler une flotte à partir de rien, ce qui lui prend plusieurs mois. Son armée, réunie à Dives-sur-Mer, puis à Saint-Valery-sur-Somme, est composée non seulement de Normands, mais également de contingents venus de Bretagne et de Flandre, entre autres. Certaines chroniques normandes attribuent également à Guillaume des préparatifs diplomatiques, avec notamment l'envoi d'une bannière par le pape Alexandre II en signe de soutien. Cependant, les récits contemporains ne parlent pas de cette bannière, qui n'est mentionnée que par Guillaume de Poitiers plusieurs années après les faits. L'imposition, en 1070, d'une pénitence générale à tous les soldats de Guillaume ayant tué ou blessé un adversaire lors de la bataille plaide également en défaveur de l'envoi d'une bannière au duc par Alexandre II.

Les forces de Guillaume sont prêtes à traverser la Manche aux alentours du 12 août, mais les opérations sont retardées pendant plusieurs semaines. Les chroniqueurs normands expliquent que ce délai est dû au mauvais temps, mais il est plus plausible que Guillaume ait préféré attendre qu'Harold renvoie sa flotte pour s'assurer une traversée plus facile. Les Normands débarquent finalement le 28 septembre à Pevensey, dans le Sussex. Guillaume fait construire un château en bois à Hastings, d'où il lance des attaques sur la région alentour. Des fortifications sont également édifiées à Pevensey.


Harold marche vers Hastings

Après sa victoire sur les Norvégiens, Harold laisse une bonne partie de ses troupes dans le Nord, avec les comtes Morcar et Edwin, avant de retourner dans le Sud à marche forcée. Il apprend vraisemblablement la nouvelle du débarquement normand en route. Son armée couvre les 320 km qui la séparaient de Londres en l'espace d'une semaine à peine, soit une moyenne de 43 km par jour. Harold passe ensuite quelques jours à Londres. La nuit du 13 octobre, il campe avec son armée sur la colline de Caldbec, à une quinzaine de kilomètres du château édifié par Guillaume à Hastings.

Les éclaireurs du duc lui rapportent l'arrivée d'Harold, réduisant à néant tout éventuel effet de surprise. Les sources offrent des récits contradictoires des événements ayant immédiatement précédé la bataille, mais elles s'accordent à dire que Guillaume conduit son armée hors de son château pour se porter à la rencontre d'Harold, dont l'armée est positionnée au sommet de la colline de Senlac, à une dizaine de kilomètres d'Hastings.


La bataille

Les contradictions entre sources primaires rendent impossible l'établissement d'un récit incontestable de l'affrontement. Seuls quelques faits sont indiscutables : la bataille a débuté à neuf heures du matin le samedi 14 octobre 1066, et elle a duré jusqu'au soir. Ce jour-là, le soleil se lève à 6 h 48, et les récits d'époque indiquent qu'il brille particulièrement fort. Ils ne précisent cependant pas le temps qu'il fait à Hastings. Après le coucher du soleil, à 16 h 54, il commence à faire sombre vers 17 h 54 et la nuit tombe à 18 h 24. Puisque la lune ne se lève qu'à 23 h 12, le champ de bataille ne bénéficie que de peu de lumière après le coucher du soleil.

L'affrontement se déroule à 11 km au nord d'Hastings, près de l'actuelle ville de Battle. Le champ de bataille est encadré par deux collines, celle de Caldbec au nord et celle de Telham au sud. C'est un endroit densément boisé, situé à proximité d'un marais.

Le chemin emprunté par l'armée anglaise pour rejoindre le champ de bataille n'est pas connu avec certitude. La découverte d'un important trésor enterré près d'une ancienne route romaine reliant Rochester à Hastings en 1876 a laissé supposer qu'il pouvait s'agir de la route empruntée par Harold, mais il est également possible que ses troupes aient suivi une autre voie romaine reliant Londres à Lewes avant d'emprunter des chemins de moindre importance46. La plupart des historiens modernes estiment que les Normands ont marché d'Hastings jusqu'au champ de bataille, mais M. K. Lawson préfère suivre Guillaume de Jumièges, selon qui l'armée de Guillaume se trouvait sur place depuis la veille au soir.


L'affrontement commence

La bataille d'Hastings débute lorsque les archers normands tirent sur le mur de boucliers anglais, sans grand effet : comme leurs adversaires se trouvent en position surélevée, les flèches rebondissent sur leurs boucliers ou volent au-dessus de leurs têtes. Leur tâche n'est pas facilitée par le faible nombre des archers anglo-saxons : en effet, cela limite le nombre de flèches qu'ils sont susceptibles de ramasser et réutiliser. Guillaume envoie ensuite les lanciers à l'assaut des Anglo-Saxons. Ces derniers répliquent à l'aide de projectiles divers : lances, javelots, haches ou même pierres.

Guillaume soulève son heaume pour montrer à ses soldats qu'il n'est pas mort.

La cavalerie normande se porte au soutien de l'infanterie, qui s'avère incapable d'ouvrir une brèche dans les lignes anglaises. Elle ne parvient pas davantage à percer le mur de boucliers, et une retraite générale s'ensuit, que les sources attribuent à la division bretonne. La rumeur court que le duc est mort, ce qui accroît la confusion générale. Les Anglo-Saxons se lancent à la poursuite des Normands en déroute, mais Guillaume chevauche parmi ses troupes le visage découvert, pour montrer qu'il est toujours vivant, avant de mener une contre-attaque. Une partie des forces anglaises se rassemble sur une butte avant d'être balayée.

On ignore si c'est Harold qui a ordonné à ses hommes de pourchasser l'ennemi, ou s'il s'agit d'un mouvement spontané. D'après Wace, le roi ordonne à ses troupes de ne pas bouger, mais il est le seul à offrir cette précision. La Tapisserie de Bayeux représente la mort de Gyrth et Léofwine, les frères d'Harold, juste avant le combat autour de la butte, ce qui pourrait indiquer qu'ils étaient les meneurs de cette poursuite. Le Carmen de Hastingæ Prœlio affirme que Gyrth est mort de la main de Guillaume, qui l'a peut-être pris pour son frère, tandis que Guillaume de Poitiers indique que les corps des trois frères ont été retrouvés proches les uns des autres, auquel cas Gyrth et Léofwine doivent avoir péri vers la fin des combats. Harold a peut-être été incité à combattre jusqu'au bout par la mort de ses frères.


Les feintes normandes

Le début de l'après-midi est vraisemblablement marqué par une pause dans les combats, le temps pour les soldats de manger et de se reposer. Guillaume semble en avoir profité pour élaborer une nouvelle stratégie, peut-être inspirée des événements de la matinée : chercher à créer des brèches dans les lignes ennemies en incitant les soldats anglais à pourchasser des Normands qui feindraient de fuir. D'après Guillaume de Poitiers, cette tactique est utilisée à deux reprises. Certains historiens considèrent qu'elle n'a été inventée qu'après Hastings, voire que les chroniqueurs cherchaient à justifier la fuite des troupes normandes, mais on la retrouve dans d'autres batailles de la même période, par exemple à Arques vers 1052, à Messine en 1060 ou à Cassel en 107162. La plupart des historiens considèrent qu'elle a également été utilisée à Hastings.

Cette stratégie ne permet pas de rompre les lignes anglo-saxonnes, mais elle entraîne probablement la mort de plusieurs housecarls dans le mur de boucliers anglais. Ils sont remplacés par des soldats du fyrd, qui tiennent bon malgré leur moindre entraînement et équipement. Les archers semblent avoir été à nouveau mis à contribution avant et pendant une charge de cavalerie et d'infanterie conduite par Guillaume. Des sources du xiie siècle précisent que les archers se sont vu ordonner de tirer vers le haut, afin que leurs flèches passent au-dessus du mur de boucliers, mais les récits d'époque ne mentionnent rien de tel. Le nombre d'assauts sur les lignes anglaises est inconnu, mais les sources mentionnent diverses actions entreprises par les deux camps durant l'après-midi. Deux chevaux sont tués sous Guillaume d'après le Carmen, trois selon Guillaume de Poitiers.


La mort d'Harold

Une dalle de pierre marque l'emplacement du grand autel de l'abbaye de Battle, situé à l'endroit supposé de la mort d'Harold.

Harold semble avoir été tué vers la fin de la bataille, mais les sources se contredisent à ce sujet. Guillaume de Poitiers ne donne pas de détails. La Tapisserie de Bayeux présente deux personnages sous la mention « Ici le roi Harold est tué » : l'un d'eux tient à la main une flèche qui lui transperce l'œil droit, tandis que l'autre est en train de tomber, frappé par l'épée d'un cavalier ennemi. L'un comme l'autre pourrait être Harold, à moins que les deux ne soient des représentations du roi à des stades différents de sa mort. La tradition considère que c'est une flèche dans l'œil droit qui a tué Harold. La plus ancienne source écrite présentant cette tradition remonte aux années 1080 : il s'agit de l'Histoire des Normands du moine italien Aimé du Mont-Cassin. Guillaume de Malmesbury affirme qu'une flèche a tué Harold au moment même où un chevalier le blessait. D'après le Carmen, c'est le duc Guillaume lui-même qui aurait tué Harold, mais un tel haut fait aurait certainement été rapporté dans d'autres textes s'il s'était effectivement produit66. Guillaume de Jumièges propose une version des faits encore plus improbable : selon lui, Harold serait mort dans la matinée, lors des premiers combats. La Chronique de l'abbaye de Battle note que la mort d'Harold s'est produite au plus fort des combats, et que pour cette raison, l'identité du responsable est inconnue. Parmi les biographes modernes d'Harold, Ian Walker estime probable que le roi soit mort d'une flèche dans l'œil, tout en admettant la possibilité qu'il ait été frappé par un chevalier normand alors qu'il était grièvement blessé, tandis que Peter Rex considère qu'il est impossible de déterminer la cause de la mort du roi.

La mort d'Harold prive les Anglo-Saxons de leur chef, et ils commencent à se débander. Beaucoup s'enfuient, mais les soldats de la maison du roi combattent jusqu'à la mort autour de la dépouille de leur seigneur. Les Normands se lancent à la poursuite des fuyards, et hormis un combat d'arrière-garde à un endroit appelé « la Malfosse », la bataille est terminée. La nature exacte des événements de la Malfosse et son emplacement exact restent disputés. Il semble que des soldats anglais se soient rassemblés près d'un endroit fortifié ou d'un réseau de tranchées et qu'ils aient blessé grièvement Eustache de Boulogne avant d'être anéantis par le duc Guillaume.


Conséquences

Le lendemain de la bataille, le corps d'Harold est identifié à partir de son armure, ou bien de marques sur son corps. D'après une tradition du xiie siècle, son visage était méconnaissable, et il fallut faire appel à sa concubine Édith pour qu'elle l'identifie à partir de marques connues d'elle seule. Diverses traditions se contredisent quant au sort réservé à sa dépouille. Son étendard personnel est présenté à Guillaume avant d'être envoyé au pape. Les cadavres anglais sont abandonnés sur le champ de bataille, tandis que ceux des Normands sont inhumés dans une fosse commune dont l'emplacement reste inconnu.

On ignore le nombre exact de victimes de la bataille. La moitié des Anglais dont la présence à Hastings est certaine n'y ont pas survécu, mais cette proportion est peut-être supérieure à la réalité. Le même calcul pour les Normands donne un taux de un mort sur sept, mais tous les Normands connus sont des nobles, et il est vraisemblable que la mortalité ait été plus importante parmi leurs troupes. Orderic Vital donne des chiffres très exagérés (d'après lui, Guillaume disposait de 60 000 soldats, dont 15 000 ont trouvé la mort), mais son taux de 25 % semble plausible. Marren avance les chiffres de 2 000 Normands et 4 000 Anglais tués, et Bouet estime le nombre de victimes dans les deux armées entre 5 000 et 6 000 hommes.

Après cette victoire, Guillaume s'attend à recevoir la soumission des seigneurs anglais, mais le witan élit roi un autre membre de la maison de Wessex, le jeune Edgar Atheling. Il est soutenu par les comtes Edwin et Morcar, ainsi que par les archevêques Stigand et Ealdred. Guillaume prend donc la direction de Londres en longeant la côte du Kent, occupant sans combattre Douvres, Sandwich, Richborough et Canterbury. Il bat une armée anglaise à Southwark, mais ne parvient pas à forcer l'entrée du pont de Londres. Contraint de trouver une voie détournée pour pénétrer dans la ville, il remonte la Tamise et franchit le fleuve à Wallingford, dans l'Oxfordshire, où il reçoit la soumission de l'archevêque Stigand. Il longe ensuite les Chilterns vers le nord-est avant de redescendre sur Londres par le nord-ouest, affrontant à plusieurs reprises des offensives venues de la ville. Les seigneurs anglais se soumettent finalement à Berkhamsted, dans l'Hertfordshire, et Guillaume est proclamé roi d'Angleterre. Il est sacré par l'archevêque Ealdred le 25 décembre 1066 en l'abbaye de Westminster.

Malgré la soumission de la noblesse anglaise, des mouvements de résistance se prolongent durant plusieurs années. Exeter est frappée par des révoltes fin 1067, les fils d'Harold tentent d'envahir le royaume courant 1068, et un soulèvement enflamme la Northumbrie la même année. 1069 voit se produire de nouveaux troubles en Northumbrie, l'arrivée d'une flotte d'invasion danoise et de nouvelles révoltes dans le Sud et l'Ouest de l'Angleterre. Guillaume écrase les divers foyers de révolte, sa réaction énergique culminant avec la dévastation du Nord de l'Angleterre de la fin 1069 au début 1070. La révolte d'Hereward l'Exilé à Ely est également écrasée en 1070.

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