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La guerre de Cléomène (229-222 av. J.-C.)

Le règne de Cléomène III et les réformes spartiates

Cléomène III monte sur le trône de Sparte en 235 av. J.-C., à une époque où la cité est en plein déclin, minée par des tensions internes et une perte de son influence militaire et politique dans le monde grec. Héritant d'une Sparte affaiblie et divisée, Cléomène entreprend de restaurer la gloire de sa cité par des réformes radicales et audacieuses, visant à revitaliser l'idéal spartiate traditionnel. L'une de ses premières initiatives est de s'attaquer au pouvoir des éphores, des magistrats qui avaient pris une importance excessive au détriment des rois. Il élimine plusieurs d'entre eux et redistribue leur autorité pour renforcer le rôle monarchique. En parallèle, Cléomène s'attaque aux inégalités économiques qui s'étaient creusées au fil des siècles, causant une érosion de la citoyenneté spartiate. Par une réforme agraire ambitieuse, il redistribue les terres, libère des hilotes pour en faire des citoyens et intègre ces nouveaux soldats dans l'armée, rendant celle-ci plus nombreuse et plus disciplinée.

Ces réformes permettent à Cléomène de reconstituer une force militaire spartiate capable de rivaliser avec ses voisins, tout en ranimant l'esprit austère et martial de la cité. Il s’efforce également de rétablir le rôle dominant de Sparte dans le Péloponnèse par une politique expansionniste, justifiée par sa vision d’un retour aux valeurs traditionnelles. Ces mesures ne sont pas sans provoquer des résistances internes, notamment de la part des conservateurs et des factions oligarchiques qui voient leurs privilèges menacés. Cléomène parvient à consolider son pouvoir, mais son règne est marqué par une tension constante entre les forces de réforme et les résistances politiques internes, un équilibre précaire qui précipite finalement son isolement après la défaite de Sparte face à la coalition achéenne et macédonienne. Les réformes de Cléomène restent un moment clé de l'histoire spartiate, illustrant une tentative désespérée de redonner à la cité sa grandeur d'antan dans un monde grec en pleine mutation.



Début du conflit et les premiers succès spartiates (229-227 av. J.-C.)

Le conflit qui oppose Sparte à la Ligue achéenne éclate en 229 av. J.-C., lorsque les éphores spartiates ordonnent à Cléomène III de fortifier le poste avancé d’Athénaion près de Belbina, une position stratégique disputée avec la cité de Mégalopolis, alliée des Achéens. Ce geste est perçu comme une provocation par Aratos de Sicyone, le stratège de la Ligue achéenne, qui convoque l’assemblée des cités membres et déclare la guerre à Sparte. Cléomène réagit en menant des raids audacieux dans le territoire achéen, ravageant l'Achaïe et consolidant sa position en Arcadie. Il remporte une victoire significative sur les forces d’Aratos près du mont Lykaion en 227 av. J.-C., où son armée, bien qu’inférieure en nombre, défait les Achéens grâce à une meilleure discipline et à la supériorité tactique de ses hoplites.

Ces succès se poursuivent avec la prise de plusieurs cités stratégiques en Arcadie, telles que Tégée, Mantinée, et Orchomène, qui choisissent de se placer sous la protection de Sparte, affaiblissant ainsi la position de la Ligue achéenne dans la région. Cléomène remporte ensuite une victoire écrasante à Dymé en 226 av. J.-C., consolidant son contrôle sur le Péloponnèse occidental. Ces victoires marquent l’apogée de la puissance spartiate sous le règne de Cléomène, qui s’efforce de restaurer l’hégémonie de sa cité en exploitant les faiblesses de la Ligue achéenne et l’indécision de ses alliés. Toutefois, ces succès éveillent les inquiétudes des Achéens, qui se tournent alors vers Antigone III Doson, roi de Macédoine, pour obtenir de l'aide, modifiant ainsi l'équilibre des forces et annonçant un tournant décisif dans le conflit.




L’intervention macédonienne et le retournement de la guerre (227-224 av. J.-C.)

Face aux victoires successives de Cléomène III, la Ligue achéenne, dirigée par Aratos de Sicyone, se trouve en grande difficulté. Le succès spartiate en Arcadie, notamment la prise de cités comme Mantinée et Orchomène, menace directement l’équilibre de la région. En réponse, Aratos prend une décision stratégique majeure : solliciter l’aide d’Antigone III Doson, roi de Macédoine. En contrepartie de l’assistance militaire, Aratos accepte de céder à Antigone le contrôle de la citadelle de Corinthe, clé stratégique pour contrôler l’isthme. Cette alliance, bien que coûteuse politiquement pour la Ligue achéenne, permet de renverser la dynamique du conflit. Antigone mobilise une puissante armée macédonienne, combinant cavalerie, phalanges bien entraînées et machines de siège, et entame une campagne pour réduire la menace spartiate.

En 223 av. J.-C., Antigone Doson entre dans le Péloponnèse avec une armée combinée de Macédoniens et d’alliés achéens, forçant Cléomène à se replier sur ses positions en Laconie. Malgré une tentative de contre-offensive, Sparte ne peut rivaliser avec les ressources et la discipline de l’armée macédonienne. En 222 av. J.-C., les forces coalisées affrontent l’armée spartiate à la bataille de Sellasia, une confrontation décisive. Cléomène, en position défensive, utilise le terrain montagneux pour tenter de compenser son infériorité numérique. Cependant, les troupes macédoniennes, mieux équipées et soutenues par des contingents alliés, brisent les défenses spartiates après une bataille acharnée. Les pertes spartiates sont lourdes, et Cléomène est contraint de fuir en Égypte, mettant fin à sa tentative de restaurer l’hégémonie de Sparte. La victoire macédonienne marque un tournant dans le conflit, rétablissant l'influence de la Ligue achéenne et consolidant temporairement le contrôle macédonien sur le Péloponnèse.



La bataille de Sellasia et la défaite de Sparte (222 av. J.-C.)

La bataille de Sellasia, survenue en 222 av. J.-C., marque la conclusion décisive de la guerre de Cléomène et scelle le sort de Sparte. L'armée spartiate, dirigée par Cléomène III, fait face aux forces combinées de la Macédoine, sous le commandement du roi Antigone III Doson, et de la Ligue achéenne, dirigée par Aratos de Sicyone. Cléomène choisit de défendre le col de Sellasia, une position stratégique sur la route menant à Sparte, espérant compenser son infériorité numérique par la difficulté d'accès et la valeur de ses troupes hoplitiques.

La bataille est une démonstration de la discipline des phalanges macédoniennes et de la stratégie d'Antigone. Cléomène divise son armée sur deux hauteurs, le mont Eva et le mont Olympe, tandis que ses alliés crétois et ses troupes légères gardent la vallée. Antigone, à la tête d'une armée considérablement plus nombreuse, concentre son attaque sur le mont Olympe, où la phalange macédonienne finit par briser la résistance spartiate malgré une lutte acharnée. L’aile droite de Cléomène, positionnée sur le mont Eva, ne peut résister longtemps face à la pression combinée des Macédoniens et des troupes achéennes. Les Spartiates, dépassés et encerclés, subissent de lourdes pertes, et la déroute est complète.

La défaite de Sellasia marque la fin de la tentative de Cléomène III de restaurer la grandeur de Sparte. Cléomène, voyant sa position intenable, s'enfuit en Égypte, où il cherche refuge auprès de Ptolémée III, son allié. La ville de Sparte, laissée sans défense, est occupée par les forces macédoniennes. Antigone III Doson ne pille pas la ville, mais impose une politique de réconciliation, réintégrant Sparte dans le cadre politique du Péloponnèse dominé par la Ligue achéenne. Cependant, le système réformé mis en place par Cléomène est démantelé, et Sparte perd son indépendance politique.

La bataille de Sellasia constitue un tournant décisif dans l’histoire spartiate. L’échec des réformes cléoméennes marque la fin de l’hégémonie potentielle de Sparte dans le Péloponnèse, tandis que la domination macédonienne s’en trouve renforcée. Cette bataille symbolise également l’incapacité de Sparte à rivaliser avec les puissances émergentes de la période hellénistique, condamnant la cité à un rôle secondaire dans les affaires grecques.



Conséquences et déclin de Sparte

La défaite de Sparte à la bataille de Sellasia en 222 av. J.-C. marque un tournant décisif dans son histoire. Après la fuite de Cléomène III en Égypte et l’occupation de la ville par Antigone III Doson, Sparte perd son indépendance politique et militaire, ainsi que son statut d’acteur majeur dans le monde grec. Les réformes audacieuses de Cléomène visant à restaurer la discipline et la puissance militaire de Sparte sont immédiatement annulées. Les institutions traditionnelles, notamment la double royauté, perdent leur efficacité et leur prestige, et la cité est désormais intégrée au système politique dominé par la Macédoine et ses alliés.

Antigone impose un règlement visant à stabiliser la région du Péloponnèse. Sparte, jadis bastion d’autonomie et d’austérité, est contrainte d’adopter une posture politique et sociale plus conforme aux attentes des puissances hégémoniques. Les ambitions spartiates de dominer le Péloponnèse, voire la Grèce entière, sont désormais réduites à néant. L’influence de la Macédoine et de la Ligue achéenne sur les affaires spartiates met fin à l'illusion d'une résurgence militaire ou politique de la cité.

Dans les siècles qui suivent, Sparte ne retrouve jamais sa grandeur passée. Les tentatives de réformes sporadiques, notamment celles du roi Nabis au début du IIᵉ siècle av. J.-C., sont vouées à l’échec face à la montée en puissance de Rome. Nabis tente de reprendre certaines idées de Cléomène, notamment en redistribuant les terres et en militarisant davantage la société spartiate, mais ses efforts sont écrasés par les Romains et leurs alliés achéens lors de la guerre contre Sparte en 195 av. J.-C.

Sous la domination romaine, Sparte devient une cité marginale, plus connue pour son passé glorieux que pour son influence actuelle. Les institutions traditionnelles spartiates subsistent dans une certaine mesure, mais elles perdent tout lien avec leur signification militaire et politique d’origine. Sparte devient une curiosité historique, visitée pour ses monuments et son passé héroïque, mais elle est désormais incapable de jouer un rôle important dans le monde méditerranéen.

Le déclin de Sparte illustre la transition des cités-États grecques vers un monde dominé par des empires, d'abord hellénistiques, puis romains. La cité, jadis symbole de discipline et de puissance militaire, devient une relique d’un système politique dépassé, éclipsé par les réalités des grandes monarchies et des empires qui caractérisent l’Antiquité tardive.



Sources :

  1. Polybe, Histoires : Analyse des événements militaires et politiques.
  2. Plutarque, Vies parallèles (Vie de Cléomène) : Focus sur la personnalité et les réformes de Cléomène.
  3. Pausanias, Description de la Grèce : Récit des batailles et des réformes.
  4. William Smith, Dictionary of Greek and Roman Biography and Mythology : Synthèse historique.
  5. Richard Talbert, Plutarch on Sparta: Analyse des sources anciennes.

Auteur : Stéphane Jeanneteau

Décembre 2010