1. La Grèce au Ve siècle av. J.-C.
Le Ve siècle av. J.-C. est une période charnière pour la Grèce antique. Marquée par les guerres médiques (contre les Perses) au début du siècle, elle voit émerger deux grandes puissances : Athènes, avec son empire maritime centré sur la Ligue de Délos, et Sparte, à la tête de la Ligue du Péloponnèse, une alliance terrestre. Ces deux cités-États possèdent des modèles politiques et militaires diamétralement opposés.
Athènes :
- Une démocratie fondée sur le pouvoir populaire.
- Une thalassocratie (puissance maritime) qui domine grâce à sa flotte et au réseau d’alliances de la Ligue de Délos.
- Un empire en expansion, qui prélève un tribut auprès de ses alliés.
Sparte :
- Une oligarchie militariste centrée sur une élite guerrière, les Spartiates.
- Une puissance terrestre dominant le sud du Péloponnèse grâce à ses alliances avec des cités-États comme Corinthe et Mégare.
- Une société conservatrice, méfiante à l'égard des innovations politiques et des empires expansionnistes.
Ces deux modèles, bien qu’ayant coopéré lors des guerres médiques, deviennent rapidement incompatibles, alimentant tensions et rivalités.
2. Les conséquences des guerres médiques (490-479 av. J.-C.)
Les guerres médiques ont permis à Athènes et Sparte de briller sur la scène grecque, mais leurs succès respectifs ont aussi exacerbé leur rivalité :
Athènes après les guerres médiques :
- La victoire à Salamine (480 av. J.-C.) renforce son prestige maritime.
- Elle prend la tête de la Ligue de Délos, initialement une alliance pour protéger la Grèce contre la menace perse, mais qu’Athènes transforme progressivement en un empire sous son contrôle exclusif.
- L’achèvement des Longs Murs reliant Athènes au port du Pirée (vers 459 av. J.-C.) symbolise sa stratégie défensive et maritime, tout en la rendant presque imprenable.
Sparte après les guerres médiques :
- La victoire terrestre décisive à Platées (479 av. J.-C.) assoit son autorité militaire.
- Cependant, Sparte se retire progressivement de l’opposition directe contre les Perses, se concentrant sur ses intérêts dans le Péloponnèse.
- Elle perçoit l’expansion athénienne comme une menace à l’équilibre des forces.
3. Les premières tensions entre Athènes et Sparte
Le conflit entre Athènes et Sparte trouve ses racines dans une série d'événements qui exacerbent leurs rivalités :
La construction des Longs Murs (461-458 av. J.-C.) :
- Ces murs relient Athènes à son port du Pirée, garantissant son approvisionnement en cas de siège.
- Pour Sparte, cette fortification symbolise non seulement la puissance croissante d’Athènes, mais aussi sa volonté de se prémunir contre toute intervention terrestre spartiate.
La défection de Mégare :
- En 460 av. J.-C., Mégare quitte la Ligue du Péloponnèse pour rejoindre Athènes, offrant à cette dernière un point stratégique sur le golfe de Corinthe.
- Sparte considère cette défection comme une provocation directe.
La rivalité pour le contrôle de la Béotie :
- La Béotie, avec sa riche plaine agricole et sa position stratégique au nord de l’Attique, devient un théâtre de confrontation. Athènes cherche à y étendre son influence, tandis que Sparte la soutient comme un bastion de résistance.
La politique impérialiste athénienne :
- Athènes utilise la Ligue de Délos pour affirmer son contrôle sur les cités alliées, transformant progressivement l’alliance en un empire. Les alliés doivent fournir des tributs, ce qui suscite des révoltes, notamment à Égine, Corcyre et Samos.
- Sparte voit cette montée en puissance comme une menace directe à l'équilibre des pouvoirs en Grèce.
4. L’équilibre des forces
Athènes :
- Une flotte dominante en Méditerranée, lui permettant de contrôler les routes maritimes et de mener des opérations navales efficaces.
- Un empire maritime bien organisé grâce à la Ligue de Délos, qui lui offre des ressources financières et militaires considérables.
- Une société innovante et dynamique, mais vulnérable sur le plan terrestre face à des adversaires comme Sparte.
Sparte :
- Une infanterie redoutable, incarnée par ses hoplites et sa phalange, qui domine les batailles terrestres.
- Un réseau d’alliances solides dans le Péloponnèse, notamment avec Corinthe et Thèbes, qui renforcent sa position.
- Une société conservatrice et rigide, parfois limitée par ses ressources économiques et démographiques.
5. Contexte immédiat avant le déclenchement de la guerre
La rivalité dans la région de Delphes (Deuxième Guerre sacrée, 448 av. J.-C.) :
- Athènes soutient les Phocidiens pour le contrôle du sanctuaire de Delphes, tandis que Sparte appuie les habitants de Delphes. Ce conflit religieux et symbolique alimente les tensions entre les deux blocs.
Les révoltes des alliés d’Athènes :
- Plusieurs cités alliées se révoltent contre la domination athénienne, ce qui pousse Sparte à envisager un soutien militaire pour affaiblir Athènes.
La lutte pour l’hégémonie :
- Sparte, gardienne du statu quo, cherche à maintenir son influence terrestre.
- Athènes, en expansion rapide, représente une menace pour l’équilibre traditionnel des cités grecques.

Causes de la guerre
- Expansion athénienne : La construction des Longs Murs (qui garantissent l'approvisionnement d'Athènes même en cas de siège) et l'affirmation de la Ligue de Délos irritent Sparte.
- Défection de Mégare : Mégare, membre de la Ligue du Péloponnèse, rejoint Athènes, donnant à cette dernière un avantage stratégique sur le golfe de Corinthe.
- Tensions entre alliances : Les alliances respectives des deux puissances les poussent à intervenir dans des conflits locaux, escaladant les hostilités.

La Première Guerre du Péloponnèse, bien qu’elle soit moins connue que la guerre du même nom du siècle suivant, constitue une période charnière dans les relations tumultueuses entre Athènes et Sparte. Elle s’est étalée sur quinze années de conflits intermittents, avec des batailles navales, des campagnes terrestres et des négociations infructueuses. Voici le déroulement des principaux événements :
1. Début de la guerre (460 av. J.-C.) : Les premières escarmouches
La guerre commence à la suite de plusieurs provocations et tensions accumulées :
La défection de Mégare :
- Mégare quitte la Ligue du Péloponnèse et s’allie à Athènes.
- Cette décision est stratégique pour Athènes, qui fortifie la position de Mégare pour surveiller l’isthme de Corinthe.
- Sparte, qui considérait Mégare comme un allié crucial, perçoit cette défection comme une menace directe.
La construction des Longs Murs (vers 459-458 av. J.-C.) :
- Athènes commence à relier sa ville au port du Pirée par des murs massifs.
- Ces murs garantissent l’approvisionnement de la ville en cas de siège terrestre, rendant Athènes presque imprenable.
Intervention à Égine (458 av. J.-C.) :
- Athènes intervient contre Égine, une île puissante qui se révolte contre la Ligue de Délos.
- La flotte athénienne assiège Égine, affaiblissant cette cité et consolidant l’autorité athénienne.
2. Batailles décisives : De la victoire athénienne à la riposte spartiate (457-454 av. J.-C.)
Les années 457 à 454 marquent une escalade majeure dans le conflit avec plusieurs batailles cruciales.
La bataille de Tanagra (457 av. J.-C.) :
- Les Spartiates, venus soutenir la Béotie contre l’influence athénienne, affrontent une armée athénienne.
- Sparte remporte une victoire, mais elle est coûteuse et ne permet pas d’exploiter pleinement la situation.
La bataille d'Œnophyta (457 av. J.-C.) :
- Quelques mois après Tanagra, les Athéniens contre-attaquent et écrasent les Béotiens.
- Cette victoire permet à Athènes de conquérir la Béotie (sauf Thèbes) et de renforcer son contrôle sur la Grèce centrale.
Soumission d’Égine (457-456 av. J.-C.) :
- Égine capitule après un long siège. Athènes impose un tribut et la destruction de sa flotte.
- Cela marque une consolidation majeure de la Ligue de Délos.
Expédition en Égypte (454 av. J.-C.) :
- Athènes, dans une tentative d’affaiblir l’empire perse, envoie une expédition en Égypte pour soutenir une révolte locale contre la Perse.
- Cette expédition se solde par un échec cuisant et de lourdes pertes pour Athènes, affaiblissant temporairement sa position.
3. La trêve temporaire (454-448 av. J.-C.)
L’échec en Égypte pousse Athènes à rechercher une pause dans les hostilités. Une trêve de cinq ans est conclue entre Athènes et Sparte en 451 av. J.-C., favorisée par la montée des tensions avec la Perse. Cette période est marquée par :
Renforcement interne d’Athènes :
- Athènes fortifie son empire maritime et renforce la Ligue de Délos.
- Périclès mène des réformes démocratiques et des projets de construction, consolidant l’unité intérieure.
Deuxième Guerre sacrée (448 av. J.-C.) :
- Athènes soutient les Phocidiens pour contrôler le sanctuaire de Delphes, tandis que Sparte appuie les habitants de Delphes.
- Ce conflit religieux mine les efforts de paix et prépare la reprise des hostilités.
4. Reprise des hostilités et révolte en Béotie (446-445 av. J.-C.)
Les tensions refont surface à mesure que les cités grecques se révoltent contre Athènes.
La révolte béotienne (446 av. J.-C.) :
- Les Béotiens, encouragés par Sparte, se révoltent contre le contrôle athénien.
- À la bataille de Coronée, les Béotiens infligent une défaite majeure à Athènes, regagnant leur indépendance.
Révolte de l’Eubée et défection de Mégare (446 av. J.-C.) :
- L’Eubée, une île stratégique, se révolte également contre Athènes.
- Mégare fait défection et rejoint à nouveau la Ligue du Péloponnèse.
- Ces révoltes affaiblissent Athènes et démontrent les limites de son empire terrestre.
5. La paix de Trente Ans (445 av. J.-C.)
Épuisées par le conflit, les deux puissances concluent un traité visant à stabiliser la situation :
Conditions du traité :
- Athènes conserve son empire maritime, y compris la Ligue de Délos.
- Sparte maintient son contrôle sur le Péloponnèse.
- Mégare est réintégrée dans la Ligue du Péloponnèse.
- Athènes renonce à ses ambitions en Béotie et accepte de ne plus interférer dans les affaires du Péloponnèse.
Fragilité de la paix :
- Cette trêve marque une pause, mais les tensions entre Athènes et Sparte demeurent palpables.
- La paix est en réalité un répit avant un conflit plus large, qui éclatera lors de la Deuxième Guerre du Péloponnèse
Conséquences
Paix de Trente Ans (445 av. J.-C.) :
- Athènes et Sparte s’accordent pour mettre fin à la guerre.
- Les principales clauses du traité :
- Sparte conserve son hégémonie terrestre.
- Athènes maintient son empire maritime.
- Mégare retourne dans la Ligue du Péloponnèse, et Égine conserve une certaine autonomie tout en restant tributaire d’Athènes.
- Cet accord marque un équilibre temporaire, mais les tensions persistent.
Réorganisation des alliances :
- Athènes doit se recentrer sur ses alliances maritimes.
- Sparte renforce son influence sur ses alliés du Péloponnèse, consolidant sa domination terrestre.
Préambule à la Guerre du Péloponnèse (431-404 av. J.-C.) :
- La paix de Trente Ans ne fait qu'ajourner les rivalités. Les ambitions athéniennes, notamment sous la direction de Périclès, continueront de provoquer l’hostilité de Sparte et de ses alliés, conduisant au conflit majeur quelques décennies plus tard.
Sources
- Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse (livre I).
- Plutarque, Vie de Périclès.
- Donald Kagan, The Outbreak of the Peloponnesian War.
- Victor Davis Hanson, A War Like No Other: How the Athenians and Spartans Fought the Peloponnesian War.
Auteur : Stéphane Jeanneteau
Novembre 2010