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La dernière religion de Rome

L'empire romain n'avait pas de religion d'État; les panthéons de dieux étaient honorés dans divers cultes. Au cours de la période d'anarchie et des décennies qui suivirent, de nouvelles croyances apparurent, offrant au peuple de nouveaux centres d'intérêt.

Les cultes anciens ne s'intéressaient qu'aux problèmes fondamentaux: les relations des hommes avec leur terre et avec leurs ancêtres. Lorsqu'il y avait des éléments mystérieux, c'était les femmes qui leur portaient le plus d'intérêt. Mais au IIe et au IIIe siècle apr. J.-C, un changement se produisit dans les pratiques religieuses romaines. Les vagues figures mythiques qui autrefois comblaient un certain vide spirituel, devinrent obsolètes dans une société qui était de plus en plus sophistiquée. L'attrait pour les religions qui promettaient une plus profonde compréhension des choses grandit.

Au cours du Ier siècle, la classe sénatoriale adopta le stoïcisme grec sans doute pour réagir à la perte de son pouvoir politique sous le règne des empereurs. Le stoïcisme plaçait l'homme au centre de l'univers : l'homme ne devait ses malheurs qu'a lui-même ou à ses semblables, et non pas à l'intervention d'un dieu capricieux.

Pour la plupart des Romains, les nouvelles formes de dévotion venaient d'Egypte, de Judée, de Syrie et de Mésopotamie -judaïsme, christianisme, cultes d'Isis, d'Osiris, mithraïsme et manichéisme. Ces cultes à mystères avaient pour but d'expliquer l'ordre de l'univers et la place que l'homme y tenait. Ils offraient à leurs adeptes l'espoir d'un salut et d'une vie meilleure après la mort. Ils apportaient une explication du bien et du mal, de la souffrance et de la méchanceté, concepts qui n'intéressaient pas les religions romaines en place.

L'ancienne religion romaine s'était propagée grâce à la création de confréries et de communautés dans plusieurs populations de l'Empire. Le minimum d'engagement personnel qu'elle exigeait faisait sa faiblesse - il n'y avait guère de bénéfices spirituels à en tirer une fois les obligations remplies, comme la prière et les sacrifices, par exemple. Les nouveaux cultes exigeaient croyance et foi dans le message qu'ils livraient. Ils offraient aussi un sens à la fraternité qui prenait encore plus d'importance grâce aux cérémonies d'initiation et aux nouveaux rites.

La diffusion et l'accueil de ces nouveaux cultes furent peut être favorisés par le contexte de l'époque, le chaos et l'anarchie étant source d'anxiété. Cependant, les cultes à mystères ont également fleuri dans les âges d'or ; Isis eut un temple à Rome au Ier siècle après J.C. et des peintures de Pompéi représentent des scènes des anciens mystères grecs d'Eleusis. Mais il serait sans doute plus exact d'attribuer la rapide diffusion des nouvelles idées religieuses à la plus grande mobilité des hommes dans l'Empire romain.

LES RACINES DE LA PERSÉCUTION

L'un des nouveaux cultes les plus populaires était le mithraïsme, culte secret réservé aux hommes, qui néanmoins imposait un code de vie personnel très élevé. Mithra avait été envoyé sur terre par le dieu zoroastrien Ahura Mazda pour combattre le mal. Il devait poursuivre et tuer un taureau d'où jaillissait toute vie. Ce culte plaisait particulièrement aux soldats: des preuves archéologiques d'une telle hypothèse ont été découvertes sur des sites autrefois occupés par les légions romaines.

La divinisation des empereurs fut un moyen de s'assurer de la loyauté des citoyens romains, toujours embarrassés par l'idée d'obligation à l'égard des ancêtres. Auguste minimisa le concept dans la vie politique, affirmant que la divinisation ne devait être que posthume. Cependant, nombre de ses successeurs furent divinisés de leur vivant: leurs statues érigées dans les vastes provinces étaient immédiatement adorées. C'était une arme puissante de l'arsenal impérial.

A partir du milieu du IIIe siècle, les empereurs se lièrent au culte du Sol Invictus, le " Soleil invaincu ". Aurélien l'établit à Rome et créa un collège pour l'administrer. Gallien, Dioclétien et Maximien s'y associèrent publiquement, en dépit du fort conservatisme de Dioclétien en matière de religion. C'est sans doute cette volonté de conserver les anciennes religions romaines qui entraîna les persécutions contre les chrétiens et les manichéens. Dioclétien dénonça leur arrogante perversité qui les poussait à préférer leurs croyances à celles transmises à l'humanité par les anciens dieux.

C'est aussi pour les mêmes raisons que les juifs monothéistes étaient impopulaires. L'importance qu'ils accordaient à leurs cérémonies et à leurs célébrations leur valut la réputation d'obstinés et même d'agitateurs. Tacite, qui n'aimait ni les juifs ni les chrétiens, écrivit que ceux qui se convertissaient au judaïsme le faisaient "au mépris des dieux, de leur patrie, de leurs parents, de leurs enfants, de leurs frères et de leurs sœurs ". Néanmoins, certains Romains se consolèrent dans le judaïsme, désespérés qu'ils étaient par le manque de profondeur spirituelle de la foi romaine ou par le laxisme moral de certains cultes.

LE MESSAGE CHRETIEN

Le christianisme était confronté à de nombreuses autres religions, y compris au judaïsme. Son succès résida dans la vitesse avec laquelle sa philosophie se propagea dans l'Empire romain, et des conversions qu'elle entraîna sur son passage.

Les chrétiens avaient des cérémonies et une philosophie particulières qui étaient toutefois très liées à la foi juive. Le christianisme avait aussi une dette de gratitude à l'égard des juifs qui leur avaient permis de répandre leur message dans les premiers temps. Les juifs n'adoraient qu'un seul dieu avant la venue de Jésus et non pas tout un panthéon de divinités célestes : les chrétiens n'apportaient donc rien de nouveau. Les juifs avaient développé un réseau de synagogues à travers l'Europe, offrant aux apôtres des lieux où ils pouvaient parler.

Une séparation entre le judaïsme et le christianisme devint inévitable. La foi juive s'était répandue en Europe des siècles avant la naissance du Christ et elle continua à essaimer dans des lieux hostiles. Mais ses lois et ses coutumes, bien que moins visibles parmi les juifs vivant loin de la Palestine, étaient d'une complexité décourageante. En comparaison, le message chrétien était simple. Alors que les apôtres des synagogues, les accusant d'être des blasphémateurs, les prosélytes (convertis ou sympathisants) étaient prêts à les écouter.

Juifs et chrétiens finirent par se séparer lors d'un conflit sur l'observance de la loi juive. De nombreux chrétiens quittèrent Jérusalem pour se rendre dans de plus grandes villes, comme Antioche ou Éphèse, qui devinrent des centres d'enseignement chrétien. Mais après la révolte juive de 66 apr. J.-C, il ne fut plus question pour les chrétiens de rester à Jérusalem.

Les principales figures chrétiennes du premier demi-millénaire furent les apôtres Pierre et Paul. Avant que Paul n'entreprenne ses voyages missionnaires, il existait déjà des communautés chrétiennes dans tout l'Empire romain. Personne ne sait qui commença à diffuser le message. Des esclaves, sans doute, pour lesquels les paroles du Christ avaient un écho particulier.

D'UN BOUT À L'AUTRE DU MONDE

Certains apôtres - Paul en particulier - parlaient et écrivaient le grec, langue très répandue dans l'Empire romain. Les premiers missionnaires n'eurent donc pas à affronter de barrière linguistique, ce qui renforça les liens d'unité entre les premiers adeptes. Les chrétiens récoltèrent aussi les bénéfices de la Pax Romana et des routes romaines qui les menaient à bon port. Les marchands, convertis à la nouvelle religion, communiquaient leurs idées aux confins de l'Empire, multipliant ainsi le nombre des croyants.

On dit que Pierre et Paul furent martyrisés à Rome, sans doute au cours des persécutions que Néron lança contre les chrétiens à la suite du grand incendie en 64 apr. J.-C. Les deux apôtres étaient venus dans la cité pour y proclamer la parole de Jésus, car cette ville était le cœur du monde civilisé.

En quelques décennies, les chrétiens firent de Rome le centre de leur foi. L'autorité de l'Église s'exerça à partir de la ville, sa primauté s'appuyant sur les martyrs de saint Pierre et de saint Paul. De Rome vint la cohésion qui allait cimenter l'Église chrétienne.

Cette religion en plein développement retint l'attention de certains dirigeants romains circonspects, mais tant qu'elle ne représentait pas un défi pour les Césars, ils ne s'y opposèrent pas. Ce qui contrariait davantage les Romains était la nature secrète de leurs cultes et de leurs croyances. Les premières cérémonies chrétiennes se déroulaient dans les catacombes souterraines et attisaient la curiosité des non chrétiens. Des rumeurs d'inceste et de cannibalisme à propos de la cérémonie de l'eucharistie - pain, corps du Christ, partagé dans l'amour fraternel - couraient un peu partout.

Ces rumeurs offrirent à Dioclétien les armes dont il avait besoin pour entreprendre une persécution systématique des chrétiens. Non seulement le christianisme survécut à toutes les persécutions, mais il s'affermit même grâce aux martyrs qu'elles avaient suscités. Moins de cinquante ans après l'abdication de Dioclétien, le christianisme devint la première religion d'État de Rome.

LES NOUVELLES DIRECTIONS DE ROME.

Pendant des siècles, l'Empire romain imposa une unité culturelle à des peuples disparates. Lorsque Constantin fit embrasser le christianisme à l'Empire, les bouleversements furent conséquents. Ainsi, un celte vivant à l'ombre du mur d'Hadrien devait être chrétien au même titre qu'un Africain habitant la frontière du Sahara ; un Espagnol sur les côtes de l'Atlantique devait adopter la foi, comme un Syrien de la rive orientale de l'Empire. La graine, largement dispersée, donna une immense moisson : le nombre de chrétiens augmenta considérablement.

Bien que le processus fût amorcé par Constantin, ce fut Théodose qui fit du christianisme une obligation légale pour les citoyens de l'Empire romain, avec cette déclaration datée de 380: "II est de notre volonté que tous les peuples que nous gouvernons pratiquent la religion que l'apôtre Pierre a transmise aux Romains. Nous devons croire en l'unique divinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit sous le concept d'une égale majesté dans la Sainte Trinité," Ce faisant le christianisme devint aussi oppressif que tous les régimes qui l'avaient combattu.

Le second grand bouleversement qu'imposa Constantin fut le déplacement du centre de l'empire Romain. Il désigna Byzance comme nouvelle capitale de l'Orient et la baptisa Constantinople. Rome fut réduite au triste sort de parente pauvre de l'Occident et commença à décliner. Les somptueux spectacles et les distributions gratuites de blé qu'offraient jadis les empereurs aux citadins de Rome ne furent plus que de souvenirs.

Sous le règne de Trajan, la population de Rome s'élevait à un million et demi d'habitants. Aucune autre ville n'atteignit ce nombre jusqu'au XIXe siècle. L'âge d'or de la capitale du monde était passé. Le grand berceau de la culture latine disparut dans l'ombre des nouvelles métropoles de Ravenne, Milan, Trêve, Nicomédie et Constantinople. 

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