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Henri Ier Beauclerc (1100-1135)

Henri Ier Beauclerc, duc de Normandie et roi d'Angleterre, confirme les décrets du concile de Lillebonne tenu en 1080, qui établissent en Normandie la trêve de Dieu, interdisent aux clercs d'avoir une femme et règlent les rapports entre le pouvoir civil et le pouvoir ecclésiastique. Archives nationales.

Né après la conquête de l'Angleterre en 1066, Henri est le plus jeune des fils de Guillaume le Conquérant. Il avait d'ailleurs entre quinze et vingt ans de différence avec son frère aîné Robert Courteheuse. Nous ne savons presque rien de sa jeunesse, mais il se peut qu'il ait vécu temporairement au sein de la maison de l'évêque Osmond de Salisbury. À l'évidence, il reçut une éducation littéraire, puisqu'il savait lire le latin (d'où son surnom de clerc à la fin du xiiie siècle, puis de Beauclerc au début du xive siècle), ce qui laisse à penser certains que ses parents le destinaient peut-être à une carrière ecclésiastique. En 1086, cette destination n'était plus à l'ordre du jour, puisque son père l'arma chevalier.

L'année suivante, Guillaume le Conquérant agonisait. Sur son lit de mort, il annonça ses dispositions à propos de son héritage. Son fils aîné Robert Courteheuse reçut le duché de Normandie, le puîné Guillaume le Roux le royaume d'Angleterre, tandis qu'Henri n'obtint aucune terre. Son père lui donna une forte somme d'argent (entre 2 000 et 5 000 livres d'argent selon les sources).


Une situation précaire (1087-1100)

La mort de Guillaume le Conquérant le 9 septembre 1087 mit Henri dans une position difficile, car il dut s'adapter à la rivalité entre ses deux frères aînés, Guillaume le Roux et Robert Courteheuse. Difficile de suivre l'un sans mécontenter l'autre.

Après plusieurs mois, Henri offrit son héritage numéraire à Robert Courteheuse en échange de la concession des droits sur le Cotentin et l'Avranchin. Le duc de Normandie accepta. Henri se trouvait ainsi maître de l'extrémité ouest du duché, dont faisaient partie l'abbaye du Mont-Saint-Michel et les terres de grands seigneurs tels qu'Hugues d'Avranches, Richard de Reviers et Néel de Saint-Sauveur. Cette situation géographique tenait Henri habilement éloigné des principaux centres du pouvoir ducal. Il fit hommage à Robert.

Mais, en 1088, Henri traversa la Manche pour réclamer à Guillaume le Roux les terres de sa mère. Guillaume le Roux acquiesça. Robert eut alors des suspicions sur la loyauté d'Henri, et l'arrêta à son retour en Normandie. Le prétendu traître resta environ six mois en prison avant d'être libéré par le duc.

En 1090, Rouen se révolta contre Robert. Henri accourut au secours de son frère pour mater la rébellion. Ensemble, ils entrèrent dans la ville. Aidé de Gilbert de l'Aigle, Henri captura les principaux meneurs de la révolte, dont Conan, qu'il jeta lui-même du haut d'une tour.

En 1091, Henri est victime de la réconciliation entre Robert Courteheuse et Guillaume le Roux. Le second accepta d'aider le premier à reprendre en main les terres perdues depuis la mort de Guillaume le Conquérant. Était notamment visé Henri, qui possédait le Cotentin et l'Avranchin, à l'ouest du duché. Le duc et le roi menèrent campagne ensemble. Assiégé au Mont-Saint-Michel, Henri capitula et quitta le duché pour les terres du roi de France Philippe Ier.

Puis les relations entre le duc de Normandie et le roi d'Angleterre se dégradèrent à nouveau. Ce qui permit à Henri de reprendre pied en Normandie, moins de deux ans après son départ forcé. Il s'établit à Domfront, et, entre 1093 et 1096, soutint Guillaume le Roux dans ses efforts pour accroître son pouvoir dans le duché.

En 1096, le pape Urbain II, par l'entremise de l'abbé de Saint-Bénigne de Dijon, parvint à établir un accord entre les frères ennemis. Robert Courteheuse remit la garde du duché à Guillaume contre 10 000 marcs d'argent, argent qui devait financer sa participation à la première croisade. Le départ de Robert éclaircissait la position d'Henri, puisqu'il n'était plus pris entre deux feux. Il se soumit au nouveau maître de la Normandie, Guillaume le Roux. En contrepartie, le roi reconnut l'autorité d'Henri sur le Cotentin mais aussi, semble-t-il, sur le Bessin, à l'exclusion de Caen et de Bayeux.

En 1097, Henri participa aux côtés de Guillaume le Roux à la campagne du Vexin, dirigée contre le roi de France. Ils reprirent Gisors, que Robert avait dû céder quelques années auparavant.

En 1099, les croisés entraient dans Jérusalem. La croisade était terminée. Robert Courteheuse pouvait retourner dans son duché. Sur le chemin du retour, il s'arrêta en Italie du Sud, où il trouva à se marier. Ce mariage n'était pas une bonne nouvelle pour Guillaume et Henri, car il ouvrait la possibilité que Robert ait un héritier. Ainsi, le duché de Normandie avait peu de chance de se retrouver entre leurs mains si Robert venait à mourir.

Un événement inattendu changea les perspectives. Guillaume II trouva la mort le 2 août 1100 lors d'un accident de chasse, tué d'une flèche parfois attribuée à Gautier II Tirel.el.

Certains historiens mettent en question le caractère accidentel de cette mort. Les circonstances peuvent laisser croire qu'Henri aurait bien pu commanditer l'éventuel meurtre, mais cette hypothèse n'est pas la plus probable.


Le nouveau roi des Anglais (1101-1106)

Dès qu'Henri apprit la mort de Guillaume le Roux, il se précipita à Winchester, un des principaux centres du pouvoir royal, pour s'emparer du trésor. Malgré la réticence de quelques barons, comme Guillaume de Breteuil, qui rappelaient les droits de Robert Courteheuse à la couronne, l'argent fut remis au frère du roi. Henri fut couronné par l'évêque de Londres le 5 août 1100 à l'abbaye de Westminster. Il se précipita tellement que l'archevêque d'York ne put arriver à temps pour le couronnement.

Aussitôt, le roi assura son trône en promulguant la Charte des libertés, qui est considérée comme une ébauche de la Magna Carta. Dans ce document, Henri expliquait comment il comptait diriger le royaume et remédier à certains abus, comme l'exploitation fiscale des biens d'Église pendant les périodes de vacance ou l'existence de certaines taxes. Quelques points reprenaient des aspects du Code de Cnut, la plus importante codification de la loi anglaise avant la conquête normande.

Les officiers et les seigneurs anglais vinrent à la cour faire hommage au nouveau roi et ce dernier, en recherche d'appui, se garda de remettre en cause leurs charges ou leurs propriétés. À l'exception notable de Rainulf Flambard, l'évêque honni de Durham et le symbole de l'oppression fiscale sous le précédent règne, qui fut arrêté et enfermé à la tour de Londres. Henri rappela en Angleterre l'archevêque Anselme de Cantorbéry, alors en exil. Il assura la promotion de ses proches : Roger d'Avranches s'occupa de la chancellerie, Guillaume d'Aubigny, un autre Normand de l'ouest, accéda à la charge de bouteiller et Guillaume de Courcy fut nommé sénéchal royal.

Un mois après le couronnement d'Henri, Robert Courteheuse revint en Normandie avec son épouse italienne. Bien accueilli par la plupart des barons normands, il ne pouvait s'empêcher de penser que s'il était revenu plus tôt, il serait devenu le roi d'Angleterre à la place de son frère.

Le 11 novembre 1100, Henri épousa Édith, fille aînée de Malcolm III, roi d'Écosse. Comme Édith était aussi la nièce d'Edgar Atheling, le mariage consacrait l'union entre la lignée normande et l'ancienne lignée des rois anglo-saxons. Il créa toutefois une polémique, car Édith était soupçonnée d'avoir été nonne. D'où les réticences d'Anselme à célébrer le mariage, qui eut finalement lieu avec la bénédiction de l'archevêque. En devenant reine, Édith renonça à son prénom anglais pour celui de Mathilde.


L'affermissement de son pouvoir

En 1101, le règne traversa sa première crise. Robert Courteheuse essaya de reprendre la couronne en envahissant l'Angleterre. Le 20 juin, les deux cents navires de la flotte ducale débarquèrent à Portsmouth une importante armée de cavaliers, d'archers et de fantassins. Henri rassembla ses forces. Les deux armées se rencontrèrent entre Winchester et Londres. Finalement, la négociation permit d'éviter la bataille : par le traité d'Alton, Robert acceptait de reconnaître Henri comme roi d'Angleterre. Il recevait en contrepartie une rente annuelle et la cession des terres normandes d'Henri (sauf Domfront). Si l'un des frères venait à mourir sans héritier mâle, l'autre hériterait de tout. Henri Beauclerc s'en sortait bien. Si le duc de Normandie n'a pas été au bout de ses revendications, il faut croire que les soutiens au roi d'Angleterre étaient importants. Il bénéficiait notamment de l'appui de puissants barons comme Robert de Meulan, Henri de Beaumont ou Robert FitzHamon, mais aussi de l'archevêque Anselme. Pourtant, à cette époque, les relations entre le roi et le prélat étaient difficiles, car ce dernier refusait l'hommage au roi et son droit d'investir les évêques ou abbés.

Mieux assuré sur son trône, le roi d'Angleterre s'attaqua aux barons anglo-normands dont la loyauté était douteuse. Il soupçonnait certains de préférer son frère Robert. Ils avaient appuyé l'expédition du duc en Angleterre en 1101. La réaction du roi se porta principalement contre Guillaume II de Warenne, dont les terres furent confisquées, Robert II de Bellême et Arnoul de Montgommery, qui furent convoqués à la cour royale pour répondre de quarante-six charges. Robert de Bellême se rendit à la cour puis, conscient qu'il ne pourrait pas être innocenté, se défila pour mettre en défense ses châteaux et rassembler ses forces. Henri mena une véritable campagne contre lui. Les châteaux d'Arundel, de Tickhill, de Bridgnorth et enfin de Shrewsbury se rendirent au roi. Robert n'eut d'autre choix que de quitter le royaume pour le duché de Normandie, tandis qu'Henri confisquait ses terres et celles de ses frères. Le roi avait pris un grand risque de s'en prendre à cette famille bien implantée dans l'ouest et le pays de Galles, mais il s'en sortit bien.

La naissance de son premier fils, Guillaume, en 1103, renforça la position d'Henri sur le trône. Ce n'était pas son premier enfant, puisque, en février 1102, la reine avait mis au monde une fille nommée Mathilde, connue plus tard sous le surnom de l'Emperesse.

Lorsque, en 1104, Robert Courteheuse se rendit en Angleterre pour rencontrer Henri, la différence de situation entre les deux frères était frappante. Henri dominait son royaume tandis que le duc de Normandie avait perdu le contrôle du Sud du duché. Lors de l'entrevue, Henri reprocha à Courteheuse d'avoir accueilli Robert de Bellême et de l'avoir récompensé avec des terres ducales. Si le duc de Normandie obtint que son fidèle baron Guillaume II de Warenne récupérât ses biens anglais, il dut renoncer à sa rente annuelle, que le roi devait lui payer selon les clauses du traité d'Alton en 1101. Henri Beauclerc se montrait en position de force.


Le nouveau duc de Normandie

En 1105, pour éliminer la menace constante de Robert Courteheuse, Henri mène un corps expéditionnaire en traversant la Manche. En 1106, il obtient une victoire décisive sur l'armée normande de son frère à la bataille de Tinchebray. Il capture Robert et réunit le duché de Normandie à la couronne d'Angleterre. Robert restera emprisonné à Bristol, et à Cardiff, jusqu'à sa mort en ce dernier lieu en 1134.

Henri est à l'origine de la construction de nombreux donjons-palais carrés traditionnels. On en trouve des exemples au château de Falaise (Normandie), à Norwich et Castle Rising (Norfolk), etc. Il ordonne vers 1130 la construction d'un nouveau palais royal, le palais de Beaumont, non loin de son pavillon de chasse de Woodstock (aujourd'hui annexé au parc du Palais de Blenheim). Il y célèbre à Pâques 1133 la naissance de son petit-fils, le futur Henri II. Il fait également aménager le château de Caen par la construction du donjon (détruit à la Révolution) et de la salle d'apparat connue aujourd'hui sous le nom de salle de l'Échiquier.


Une succession difficile

Avant la mort de sa première épouse Mathilde d'Écosse en 1118, Henri a quatre enfants : Mathilde (1102-1167), Guillaume Adelin (1103-1120), Richard de Lincoln († 1120) et Robert, ces deux derniers étant illégitimes. Son seul fils légitime, Guillaume Adelin, ne lui survit pas, il périt dans le naufrage de la « Blanche-Nef », le 25 novembre 1120, près des côtes de Normandie.

Le 29 janvier 1121, il épouse Adélaïde, fille du duc Godefroid Ier de Louvain, mais aucun enfant ne naît de ce mariage. Cependant, Henri détient le record du plus grand nombre de bâtards reconnus nés d'un roi anglais, avec un total de trente-cinq.

Se voyant sans héritier mâle légitime, le 1er janvier 1127, Henri fait prêter serment par ses barons d'accepter sa fille Mathilde l'Emperesse, veuve de l'empereur germanique Henri V, comme son héritière.

Henri meurt d'une intoxication alimentaire après avoir mangé des lamproies avariées en décembre 1135 à Saint-Denis Le Ferment (Saint-Denis-en-Lyons) en Normandie. Il est enterré à l'abbaye de Reading.

Bien que les barons d'Henri aient juré allégeance à sa fille, la reconnaissant comme future reine, ses prétendues frasques sexuelles et son remariage avec un Angevin, Geoffroy le Bel, comte d'Anjou, un ennemi des Normands, permettent à un neveu d'Henri, Étienne de Blois, de venir en Angleterre et de prétendre au trône avec leur soutien.

La lutte entre Mathilde et Étienne provoque une longue guerre civile connue comme l'Anarchie. La dispute est finalement réglée en 1153 avec le traité de Wallingford : Étienne désigne le fils de l'Emperesse et du comte d'Anjou, le futur Henri II, comme héritier.


Jugements sur le personnage

Le moine Orderic Vital, qui habitait un monastère, l'abbaye de Saint-Évroult, situé dans une zone turbulente du duché, que le duc-roi réduisit à néant en éliminant le principal fauteur de troubles, Robert II de Bellême, lui est assez favorable. En témoigne ce passage de l'Historia ecclesiastica :

« [Henri] gouverna, dans la prospérité comme dans l'infortune, le royaume que Dieu lui avait confié, avec autant de prudence que de succès. Parmi les princes les plus remarquables de la chrétienté, il brilla d'un grand éclat par le maintien de la paix et de la justice. De son temps, l'Église de Dieu fut joyeusement comblée de richesses et d'honneur et tous les ordres s'accrurent considérablement ».

Il souligne cependant sa cruauté en rappelant les événements de 1122-1124 : en 1122, plusieurs seigneurs normands se révoltèrent contre Henri Ier. Le roi battit et fit prisonniers nombre de rebelles, dont Geoffroy de Tourville, Odoard du Pin et Luc de la Barre, qui, outre le délit de rébellion, était accusé d'avoir tourné en ridicule le monarque dans plusieurs sirventes. Henri résolut de faire comparaître devant lui, à Rouen, ces trois prisonniers, quelques jours après la Pâque de l'an 1124, et il les condamna à perdre les yeux. Quand Charles, comte de Flandre, osa avancer au roi qu’il n’était pas d’usage de châtier les chevaliers vaincus d’une façon aussi monstrueuse, Henri lui répondit : « je vais vous prouver qu’en ceci je ne fais que justice. Godefroy et Odoard étaient mes hommes. Ils ont rompu leur foi, violé leur serment de fidélité : et voilà pourquoi ils méritent ou la mort ou au moins d’être punis par la perte d’un membre ». Quant à Luc de la Barre […], il a fait plus […] et a chanté publiquement d’injurieux sirventes[…]. Mais, quand les bourreaux saisirent Luc de la Barre pour l'aveugler, il aima mieux se fendre la tête contre les murs que d'être la victime de la cruauté du roi.».

De son côté, Henri de Huntingdon lui attribue trois vertus (la sagesse, les succès militaires et la richesse) mais aussi trois vices (la cruauté, la débauche, l'avidité). Chez Guillaume de Malmesbury, le portrait royal s'approche du stéréotype : prince cultivé et raisonné, Henri fonda plusieurs monastères (notamment l'abbaye de Reading), fut sévère contre les méchants et généreux à l'égard de ses amis.

Les historiens modernes ont aussi des évaluations divergentes sur le personnage et son règne. François Neveux le considère comme « un grand roi et un grand duc de Normandie », qui avait hérité des qualités de son père. C. Warren Hollister reconnaît sa cruauté mais rappelle que ses contemporains n'étaient pas mieux. La récente biographie de Judith Green tempère certaines thèses favorables au gouvernement d'Henri comme son rôle dans le progrès de l'administration et ses rapports avec l'aristocratie.

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