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La bataille de Courtrai de 1302

L'industrie textile faisait la prospérité de la Flandre, province du Nord du royaume de France. Elle utilisait la laine, essentiellement importée des royaumes britanniques. Les artisans tisserands et commerçants, puis à leur suite le comté entier, se retrouvèrent donc dans une situation délicate lorsque le roi de France Philippe le Bel déclara la guerre à l'Angleterre pour prendre le contrôle de l'Aquitaine, en mai 1294.

Gui de Dampierre, comte de Flandre et jusque là vassal dévoué de Philippe le Bel malgré une ingérence de plus en plus grande du parlement de Paris dans les affaires internes de la Flandre, continua des négociations avec Edouard Ier, roi d'Angleterre, en vue d'un mariage entre les deux dynasties, ce qui revenait à rejoindre implicitement l'adversaire de son suzerain. Convoqué à Paris en septembre 1294 pour une autre affaire, il avoua ce projet au roi de France, qui l'emprisonna avec deux de ses fils jusqu'en février 1295, tout en l'obligeant à rompre la promesse de mariage. En 1297, ralliant les liélarts, faction anti-française, le comte de Flandre se déclare dégagé de toute obligation féodale avec Philippe le Bel. C'est le début de la guerre de Flandre, qui va rapidement tourner à l'avantage du roi de France.

Les Français occupent l'entièreté du comté, ce qui va amener à une importante révolte de la part des Flamands. Après le massacre des « Matines de Bruges » en mai 1302, les rebelles klauwaerts tenaient le pays sauf deux places fortes importantes, Cassel et Courtrai.


Bataille

La ville de Courtrai est prise par Gui de Namur (fils du comte de Flandre) dans les premiers jours de juillet et la garnison française se réfugie dans le château. Pendant ce temps, le roi Philippe le Bel a levé une armée et envoie une forte avant-garde à la tête de laquelle se trouve le comte Robert d'Artois.

Guillaume de Juliers (petit-fils du comte de Flandre et archidiacre de Liège) rejoint alors son oncle Gui de Namur au siège de Courtrai. Le 8 juillet 1302, les deux armées se font face. Les forces en présence sont déséquilibrées :

Les troupes flamandes, les « Klauwaerts », venant en grande majorité de Bruges et de son Franc ainsi, pour environ un tiers, de la Flandre orientale, sont composées d'hommes à pied munis notamment du goedendag, lourde lance hérissée d'une pointe métallique. Ces milices sont bien équipées, et certaines bien entraînées. Ils sont également assistés de milices namuroises des frères de Namur et de Zélande. Les troupes sont confiées au commandement de Pieter de Coninck, Gui de Namur et Guillaume de Juliers. Ils prennent position sur un plateau bordé par la Lys d'une part et des marécages d'autre part, le long d'un fossé (canal creusé par les Flamands ? Rivière ?) en demi-lune. Derrière eux se trouvent les murailles du château de Courtrai.

Ce « fossé en demi-lune » est probablement un ancien méandre de la rivière « Lys ». Les deux extrémités du méandre se sont progressivement ensablées, résultant en une « demi-lune » d'eau stagnante, sans communication directe avec la rivière cependant toute proche. Il s'agit là d'un phénomène géologique de l'ère quaternaire assez courant dans tout « plat pays ». Pour une bataille comme celle décrite ci-dessous, ce type de terrain donne un avantage évident aux combattants locaux, surtout qu'ils étaient à pied contrairement aux cavaliers dont les chevaux ne pouvaient que s'embourber dans un terrain argileux, fort humide, glissant, et entouré de toutes parts par des fossés et de petites mares.

L'armée française, commandée par le comte Robert d'Artois, est constituée d'archers, de fantassins et de cavaliers. La cavalerie est composée de dix corps (regroupés en trois formations) commandés entre autres par: le connétable Raoul de Nesle, Godefroid de Brabant et Robert d'Artois; sans compter l'arrière-garde laissée en réserve sous les ordres de Gui de Châtillon, comte de Saint-Pol et gouverneur de Flandre. Les troupes françaises s'amassent dans la plaine de Groeninghe. Le comte Robert d'Artois, sûr de la victoire, rejette la suggestion de contourner l'armée flamande.


Les ouvrages récents s'accordent à revoir à la baisse les nombres de combattants généralement cités jusque-là. Selon Van Caenegem, les forces en présence ne s'élevaient qu'à environ 8 500 de chaque côté ; et selon Fegley : entre 8 000 à 10 500 combattants flamands et jusqu'à 10 000 combattants français. (Ces chiffres sont sensiblement différents de ceux qu'on attribue aux chroniqueurs de l'époque, comme Villani (contemporain des faits), ou le frère mineur de Gand, qui écrivait sept ans après l'action, tous les deux cités par exemple par Moke : l'un et l'autre évaluaient le nombre de combattants français à environ 50 000 mais le chroniqueur italien estimait le nombre des combattants flamands à 20 000 tandis que le frère mineur les évaluait à 60 000.).

L'armée française est répartie en 2 500 chevaliers et écuyers, 1 000 arbalétriers, 2 000 piquiers, et 3 000 fantassins.

Du côté flamand, les milices de Bruges alignent entre 2 600 et 3 700 combattants, parmi lesquels 320 sont arbalétriers, et qui sont dirigés par Willem van Gulik. D'Ypres viennent 1 000 combattants, dont 500 de réserve. Du Franc de Bruges viennent 2 500 hommes, et des Flandres orientales 2 500.

Le 11 juillet au matin, les archers entament les hostilités et donnent temporairement l'avantage à l’armée française. Après un échange de flèches et de carreaux d'arbalètes, les Français font avancer leurs fantassins jusqu'au fossé. Les chevaliers français, impatients de récolter les fruits d'une victoire qu'ils jugent facile, s'élancent dans la précipitation. Ils n'ont que peu d'espace pour manœuvrer. Beaucoup s'embourbent dans les marécages; de plus les goedendag sont efficaces pour stopper la cavalerie qui charge. Les corps de cavalerie picards des deux sires de Nesles et celui des mercenaires de Jean de Burlats, suivis par les Brabançons de Godefroid de Brabant, les Normands des comtes d'Eu et d'Aumale et les Artésiens emmenés par Jean de Hainaut, et enfin Robert d'Artois, avec une partie des corps lorrains, bourguignons et champenois, s'engouffrent dans ce piège. Les chevaliers trop lourdement armés ne peuvent s'extirper du bourbier. Le fossé en arc de cercle les empêche de contourner l'obstacle. L'arrière-garde, commandée par le comte de Saint-Pol, décide alors de rebrousser chemin.

Les combattants flamands, peu au fait des us et coutumes de la guerre, massacrent les chevaliers à terre sans chercher à faire de prisonnier. Périssent ainsi dans la bataille un grand nombre de fantassins et chevaliers français dont le comte Robert d'Artois, Raoul de Nesle et son frère Gui de Nesle; Jean de Burlats, les comtes d'Eu et d'Aumale et le chancelier Pierre Flote. Les pertes sont également très lourdes parmi leurs alliés : Jean Sans-Merci du Hainaut ; Godefroid de Brabant et son fils Jean, sire de Vierzon et châtelain de Tournai, ainsi que pratiquement tous les Brabançons. Au total, le nombre de pertes du côté français doit avoir largement dépassé le millier de morts puisque, rien que dans les rangs de la noblesse, plus de 60 comtes et barons, plusieurs centaines de chevaliers et plus d'un millier d'écuyers auraient perdu la vie. Les Flamands n'auraient quant à eux eu à déplorer que quelques centaines de morts, voire pas plus de cent morts.

Les troupes flamandes victorieuses ramènent comme trophées les éperons d'or de tous les chevaliers tombés dans la bataille. Ces trophées orneront l'église Notre-Dame de Courtrai Note 15 avant d'être récupérés par la France et installés à Dijon.


Après la bataille

Pour les Flamands, cette victoire sonne le début de leur indépendance et du sentiment national. Gui de Dampierre est bientôt de retour à la tête de son comté et organise le mouvement de libération qui gagne plusieurs grandes villes de Flandre.

Le roi Philippe le Bel sort affaibli par cette défaite. D'une part, il y a perdu une grande partie de sa chevalerie, ses deux maréchaux de France (Simon de Melun et Guy Ier de Clermont de Nesle), d'autre part il y a perdu du prestige. Il a néanmoins les moyens de faire face, même s'il doit financièrement lever des impôts pour reconstituer une armée (tant sur terre que sur mer). Il gardera par la suite une grande méfiance vis-à-vis de la capacité de résistance des troupes flamandes. Deux ans plus tard, il prendra néanmoins sa revanche sur mer à la bataille de Zierikzee (10 et 11 août 1304) et sur terre à Mons-en-Pévèle (18 août). La sagesse lui fera alors préférer une paix négociée, mais tout à son avantage, et la Flandre retournera, après cette revanche, de nouveau sous l'autorité royale (effaçant ainsi, pour plusieurs décennies, la défaite de 1302).


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