7 min lu
Le siège de Sagonte -219

Contexte de la guerre et tensions en Ibérie

La chute de Sagonte en 219 av. J.-C. s'inscrit dans un contexte de rivalité croissante entre Carthage et Rome, exacerbé par les conséquences de la Première Guerre punique. Carthage, affaiblie par ses défaites en Sicile et les lourdes indemnités imposées par Rome, chercha à reconstruire sa puissance économique et militaire. Sous la direction des Barcides, en particulier Hamilcar puis Hannibal, Carthage tourna ses ambitions vers la péninsule Ibérique, riche en ressources naturelles comme l'argent et le cuivre, ainsi qu'en soldats aguerris. Cet espace devint rapidement le cœur de la stratégie punique pour contrecarrer l'influence romaine.

En 226 av. J.-C., le traité de l'Èbre fut signé entre Carthage et Rome, délimitant leurs sphères d'influence respectives. Carthage s'engageait à ne pas franchir l’Èbre, tandis que Rome reconnaissait l’autorité punique au sud de ce fleuve. Cependant, la situation restait fragile, et Sagonte, bien que située au sud de l’Èbre, était une cité alliée de Rome. Cette ambiguïté territoriale fit de Sagonte un point de friction, d'autant que Rome cherchait à étendre son réseau d’alliances, tandis qu’Hannibal consolidait son pouvoir en Ibérie.


La montée en puissance d'Hannibal Barca

Hannibal Barca, successeur de son père Hamilcar, dirigea avec succès des campagnes militaires en Ibérie, soumettant plusieurs peuples locaux, comme les Olcades, les Vaccéens et les Carpétans. Ces victoires permirent à Carthage de renforcer son emprise au sud de l’Èbre, tout en augmentant ses ressources humaines et matérielles. Cependant, Hannibal ne se contentait pas de consolider son pouvoir : il cherchait à provoquer Rome, motivé par une haine héritée de son père et par la volonté de restaurer la grandeur carthaginoise.

Sagonte, prospère et stratégique, se trouvait à la croisée des chemins. Alliée à Rome mais géographiquement sous influence punique, la cité était une épine dans le pied d'Hannibal. La tension monta lorsqu’Hannibal accusa les Sagontins d’agression envers des tribus alliées à Carthage, notamment les Turdétans. Ces accusations servirent de prétexte à Hannibal pour attaquer Sagonte, un acte qui provoquerait inévitablement une confrontation avec Rome.


La lenteur de la réaction romaine

Bien que consciente des tensions en Ibérie, Rome tarda à agir efficacement. Les relations diplomatiques entre Sagonte et Rome s’intensifièrent alors que la menace d’Hannibal se précisait. Cependant, les discussions au Sénat romain furent longues et indécises. Rome était encore impliquée dans des conflits en Illyrie et peinait à définir une stratégie claire pour contrer les ambitions carthaginoises en Ibérie.

Cette inaction permit à Hannibal de se préparer au siège de Sagonte. En mars 219 av. J.-C., il entama son attaque contre la cité, provoquant un casus belli évident avec Rome. Le siège, qui dura huit mois, fut le prélude à une guerre de grande envergure. Pendant que Rome tergiversait, Sagonte, isolée, se retrouvait seule face à la puissance carthaginoise. Cette lenteur stratégique de Rome sera plus tard résumée par la célèbre phrase : "Dum Romae consulitur, Saguntum expugnatur" (Pendant qu'à Rome on discute, Sagonte tombe)."


Les débuts du siège de Sagonte

Le siège de Sagonte, lancé par Hannibal au printemps 219 av. J.-C., fut une opération militaire méthodique et audacieuse. Hannibal arriva avec une armée importante, évaluée par Tite-Live à environ 150 000 hommes, composée de soldats d'élite carthaginois, de mercenaires ibériques et d’éléphants de guerre. Il établit un camp autour de la ville, encerclant Sagonte sur trois côtés, tout en ravageant les terres agricoles environnantes pour priver les habitants de leurs ressources. La stratégie visait à briser le moral des défenseurs et à isoler complètement la cité.

Hannibal concentra ses efforts sur une section vulnérable des murailles, située sur une plaine ouverte. Des engins de siège sophistiqués furent déployés, dont des béliers et des tours mobiles. Ces armes furent utilisées pour frapper régulièrement les murailles, provoquant des dégâts considérables. Malgré l’intensité des attaques, les défenseurs sagontins opposèrent une résistance héroïque, utilisant notamment des projectiles, des armes de jet et des falaricae, des lances enflammées redoutées des Carthaginois. Hannibal lui-même fut blessé par un javelot lors d’un assaut, ce qui força son armée à battre en retraite temporairement.


Intensification des combats

Profitant de ce répit, Hannibal fit construire une série de fortifications pour isoler totalement Sagonte de son arrière-pays. Il renforça ses forces et redoubla ses attaques en utilisant des vinea, abris mobiles permettant de protéger ses soldats avançant sous les projectiles. Ces structures furent utilisées pour approcher les murs et relancer les frappes avec des béliers, provoquant l’effondrement de plusieurs sections des fortifications. Malgré ces percées, les Sagontins continuèrent à reconstruire des murs internes pour protéger les zones encore sous leur contrôle.

Les combats s’intensifièrent, et la famine commença à sévir dans la ville assiégée. Les Sagontins multiplièrent les sorties pour harceler l’armée carthaginoise et retarder les travaux de siège. Ces actions audacieuses infligèrent des pertes importantes à Hannibal, mais elles ne suffirent pas à inverser le cours du siège. Les Carthaginois renforcèrent leur assaut en construisant une tour de siège colossale, équipée de catapultes et de balistes, pour dominer les remparts.

Effondrement des défenses et prise de la ville

Après huit mois de résistance acharnée, la chute de Sagonte devint inévitable. Les assauts coordonnés de l'armée carthaginoise, combinés à l'épuisement et à la famine parmi les défenseurs, brisèrent les dernières poches de résistance. Hannibal, déterminé à en finir, mobilisa l'ensemble de ses forces pour un assaut final. Les Carthaginois parvinrent à exploiter une faiblesse dans les fortifications, provoquée par les tirs incessants de balistes et de catapultes installées sur une tour de siège colossale. Une brèche décisive permit aux troupes d'élite d'Hannibal de pénétrer profondément dans la cité.

Les Sagontins, bien que désespérés, opposèrent une résistance farouche, défendant maison après maison. Cependant, la famine et le manque de renforts de Rome réduisirent leurs capacités à poursuivre le combat. En signe de défi, les habitants rassemblèrent leurs trésors, les fondirent pour éviter qu'ils ne tombent aux mains des assaillants, et incendièrent certains bâtiments stratégiques. Lorsque la dernière ligne de défense s’effondra, les Carthaginois se livrèrent à un pillage en règle, faisant un carnage parmi les habitants et réduisant ceux qui survécurent en esclavage. Hannibal distribua les richesses et les captifs à ses soldats, consolidant ainsi leur loyauté avant les campagnes à venir.


Conséquences immédiates

La prise de Sagonte marqua un tournant stratégique et politique majeur. La richesse accumulée dans la ville permit à Hannibal de financer ses projets ambitieux contre Rome, notamment en renforçant son armée et en consolidant ses alliances avec les tribus ibériques. La chute de Sagonte, malgré les appels désespérés des Sagontins, révéla l'incapacité de Rome à intervenir efficacement. Ce retard fut critiqué, donnant naissance à la célèbre phrase : "Dum Romae consulitur, Saguntum expugnatur" (« Pendant qu'à Rome on discute, Sagonte tombe »).

Sur le plan diplomatique, cet événement enflamma les tensions entre Carthage et Rome. Une délégation romaine fut envoyée à Carthage pour exiger la reddition d'Hannibal, mais le Sénat carthaginois, dominé par le parti des Barcides, refusa. Ce rejet signa la rupture définitive entre les deux puissances, aboutissant à la déclaration de guerre par Rome en 218 av. J.-C. Ce conflit marqua le début de la Deuxième Guerre punique, une guerre qui allait transformer le cours de l’histoire méditerranéenne.

Enfin, la destruction de Sagonte envoya un message clair aux peuples ibériques : toute résistance à l'autorité carthaginoise serait écrasée sans pitié. Cependant, cette victoire créa également des divisions au sein de la péninsule, certaines tribus craignant désormais l’ambition croissante de Carthage. Tandis qu’Hannibal préparait son expédition audacieuse contre l’Italie, Rome consolidait ses alliances en Méditerranée occidentale, mettant en marche les engrenages d’un conflit de grande ampleur.


Sources pour le siège de Sagonte

  • PolybeHistoires, Livre III : Polybe, historien grec du IIe siècle av. J.-C., est l'une des principales sources sur les événements entourant le siège de Sagonte. Il fournit des détails sur la stratégie d'Hannibal et les motivations politiques des deux camps.

  • Tite-LiveHistoire romaine, Livre XXI : L'œuvre de Tite-Live, bien qu'écrite plusieurs siècles après les faits, constitue un récit détaillé et dramatique des événements, notamment le siège, les ambassades romaines, et les conséquences diplomatiques.

  • Appien d'AlexandrieHistoire romaine : Guerres puniques : Appien offre un récit complémentaire, mettant en lumière les aspects diplomatiques et le contexte stratégique du conflit.

  • FrontinStratagemata : Frontin évoque brièvement certaines tactiques employées par Hannibal lors du siège, notamment l’utilisation des tours de siège et des béliers.

  • Diodore de SicileBibliothèque historique : Diodore fournit une vue d'ensemble des tensions entre Rome et Carthage, bien que ses détails sur Sagonte soient moins développés.

  • Encyclopaedia Universalis – Articles sur Hannibal et les guerres puniques : Synthèse moderne regroupant les analyses historiques et archéologiques récentes sur le siège et ses conséquences.

  • Brian H. WarmingtonCarthage (1969) : Une étude approfondie sur la civilisation carthaginoise et ses conflits avec Rome, y compris une analyse du siège de Sagonte.

  • François DecretCarthage ou l'empire de la mer (1977) : Une exploration des dynamiques politiques et militaires carthaginoises à travers les guerres puniques.

  • Adrian GoldsworthyThe Punic Wars (2000) : Un ouvrage moderne qui contextualise le siège de Sagonte dans la stratégie globale d'Hannibal avant la Deuxième Guerre punique.

Auteur : Stéphane Jeanneteau

Janvier 2011


Commentaires
* L'e-mail ne sera pas publié sur le site web.