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La mutation de Rome

LES FASTES DE ROME

Au sommet de sa gloire, Rome était paradoxalement clans une situation précaire. Bien que sa politique étrangère lui florissante, elle était menacée par un désordre intérieur qui pouvait mener à l'anarchie. Cet état de fait était dû au manque de fermeté du gouvernement. Pour certains, le déclin de Rome était une conséquence de la victoire sur Carthage ; sans rival à combattre, la République souffrait d'un manqué d'autodiscipline et d'une croissance de la corruption. Une gestion désastreuse des affaires publiques avait mené la péninsule italienne à l'insurrection: d'anciens alliés s'étaient dressés contre Rome. La Guerre sociale de 91-89 av. J.-C, rapidement réprimée, fut ainsi provoquée par l'incompétence du gouvernement en place.

L'émeute devint monnaie courante dans la vie des romains. Des chefs rusés s'alliaient à la populace violente et désemparée pour parvenir à leurs propres lins. Mais La loyauté du groupe ainsi formé ne leur était pas assurée: il changeait fréquemment de camp.

Par ailleurs, la force croissante de l'armée et de ses généraux devint problématique. Aujourd'hui encore, le nom de Jules César évoque les splendeurs et décadences de Rome à cette époque. Ce fut finalement César et ses assassins qui dé terminèrent le destin de Rome, écartant la République en faveur du totalitarisme. L'étendue des territoires sous domination romaine était peut-être devenue trop importante pour un gouvernement authentiquement démocratique.

CICÉRON, LA VOIX DE LA RAISON.

Marcus Tullius Cicero (106-43 av. J.-C.) naquit dans une famille aisée de l'ordre équestre, à Arpinum. Cette ville située à une centaine de kilomètres à l'est de Rome était la ville natale de Marius. On disait que sa mère Helvia était une femme stricte et austère. Son père était un érudit. Adolescent, il fut envoyé avec son jeune frère Quintus à Rome pour y recevoir une bonne éducation. Puis il voyagea en Grèce et en Asie Mineure.

Cicéron eut une fille, Tullia, et un fils, Marcus, de sa première femme Terentia. La mort prématurée de sa fille assombrit les dernières années de sa vie. Elle s'était mariée trois fois mais tous les enfants qu'elle avait portés étaient morts. Accablé de chagrin, Cicéron divorça de Terentia. Il se remaria, mais divorça encore peu après. 

Cicéron fut le premier de sa famille à être nommé consul en 63 av. J.-C. Durant cette époque troublée, il se retrouva rapidement au centre de manigances politiques, soutenant un candidat contre un autre et s'efforçant de favoriser l'équilibre des pouvoirs. En tant qu'homme de loi, son souci constant fut la constitution de la République qu'il voulait transformer. 

Il fut un partisan convaincu de Pompée le Grand. Mais il avait une profonde aversion pour ses associés politiques - Marcus Crassus, dont la fabuleuse richesse provenait des profits amassés durant les proscriptions de Sylla, et Jules César, dont l'ambition flagrante lui semblait dangereuse pour la République. Sur le plan politique, il est connu pour avoir combattu puis fait arrêter les membres d'un complot ourdi par Catilina, agitateur politique qui voulut marcher sur Rome. Cicéron, habilement soutenu par Caton d'Utique, arrière-petit-fils de Caton le Censeur, plaida au Sénat afin d'obtenir la peine capitale sans procès, pour l'exemple. 

La légalité de cette mesure était contestable, et Jules César s'y opposa, conseillant l'application exceptionnelle de la sentence de l'emprisonnement à vie. Mais les accusés furent exécutés, et Cicéron partit quelques mois en exil, ayant perdu ses appuis politiques au cours des événements. Après l'affaire de Catilina, il n'entreprit aucune réforme constitutionnelle durant le reste de son mandat. 

CICÉRON, homme politique et orateur latin. Buste en marbre.
(Musée du Capitole, Rome.) © Larousse-Bordas 1998 

CICÉRON : DES PAROLES DOUCES-AMÈRES

En dehors de son activité politique, il traduisit la philosophie grecque en latin. Il écrivit des textes philosophiques proprement romains et contribua à élever le niveau intellectuel de la République à un niveau équivalent à celui de la Grèce. Grâce à Cicéron, nous possédons de nombreux témoignages sur la vie romaine remontant à plus de 2000 ans. Certains d'entre eux ne sont pas toujours impartiaux.

Cicéron fut un auteur aux talents féconds et variés. De nombreuses lettres el essais ont été conservées, grâce aux efforts de son secrétaire dévoué, Tiro, un esclave qu'il avait libéré en 53 av. J.-C. Tiro passa les trente-cinq dernières années de sa vie à rassembler et à publier les écrits de son maître et à écrire sa biographie.

L'éloquence de Cicéron forçait l'admiration de ses contemporains. On comprend aisément pourquoi il eut autant de fervents admirateurs que d'ennemis farouches. Un jour, il dit à Marc Antoine: "D'abord tu n'étais qu'une prostituée publique, à prix fixe, très élevé. Mais bien vite Curio te sortit de la rue, t'élevant, pourrait-on dire, au statut de femme, puis de forte femme mariée ". Antoine se vengea en assassinant Cicéron au cours des proscriptions qui suivirent la mort de Jules César.

JULES CÉSAR.

Au cours des siècles qui suivirent, on accola au nom de César toutes sortes d'épithètes royaux. Il occupa une position-clé dans l'histoire romaine: il démantela la République et prépara la voie des empereurs qui allaient alternativement plonger les Romains dans la tyrannie ou la stabilité.

Chef militaire de génie, orateur de talent, écrivain prolifique et législateur, Caius Julius Caesar (100-44 av. J.-C.) était un homme aux multiples atouts. Célèbre pour sa clémence, épargnant manifestement la vie de ses ennemis politiques, il fut cruel à l'égard des Celtes en Gaule. Il parlait la langue des légionnaires, mais se sentait également à l'aise parmi l'élite de Rome. Il prit le parti du prolétariat alors que toutes sortes d'honneurs lui étaient rendus par la classe politique, ce qui entraîna la méfiance des autres aristocrates. Jules César n'était pas non plus un nostalgique, comme tant d'autres à cette période.

Selon l'ancienne tradition familiale, le jeune Jules vécut ses premières années dans le luxe. On lui apprit à se montrer fier de l'histoire romaine. Mais tout cela disparut lorsque son père, victime de machinations politiques, tomba en disgrâce, perdant ainsi la fortune familiale. Puis Jules César vécut à Subure, un quartier pauvre de Rome, et jusqu'au milieu de son âge adulte, il souffrit de pauvreté. C'est sans doute pour cette raison qu'il mangea toujours de façon frugale. L'historien romain Suétone (vers 69-122 av. J.-C.) écrit ainsi: " Même ses ennemis ont rapporté qu'il buvait très peu de vin. Marcus Caton aurait dit que César était le seul homme qui entreprit d'abattre l'État en étant sobre. Et face à la nourriture, Caius Oppius nous dit qu'il se montrait indifférent...
Jules César (Caius Julius Caesar) À la mort de son père, alors qu'il n'avait que quinze ans, il entra dans l'armée. Quatre années de campagnes mouvementées lui valurent une réputation de courage et de force physique qui fit oublier les crises d'épilepsie dont il souffrait. À vingt ans, il gagna la corona civica pour avoir sauvé la vie d'un soldat au cours d'une campagne sur la mer Noire.
César n'était guère disposé à s'entendre avec Sylla, mais on ne peut pas dire qu'il entreprit quoi que ce soit pour renverser son gouvernement. Toutefois, il jugea prudent de s'éloigner de Rome durant les proscriptions et alla étudier à Rhodes.

César se fit d'abord remarquer en tant qu'homme politique lorsqu'il fut le client de Marcus Licinius Crassus - se rattachant ainsi au parti des optimates de Sylla. Cette position se renforça encore lorsqu'il se maria avec Cornelia, fille de Cinna - éminent partisan de Marius -, et par le fait que Caius Marius était son oncle. Il resta fidèle à la cause démocratique durant toute sa vie et s'opposa constamment au Sénat. Marius fit nommer César grand prêtre, le classant ainsi parmi les radicaux. Cela n'était que partiellement vrai, bien que César eût parfois utilisé des méthodes radicales. 

Il fut d'abord chargé d'administrer la colonie d'Espagne - récemment soumise par Pompée puis on lui confia la responsabilité des divertissements de Rome. Il organisa d'imposants spectacles avec des animaux exotiques d'Afrique et des combats de gladiateurs. On a aussi rapporté qu'il fit remplir des arènes d'eau afin d'y représenter des batailles navales. A la même époque, il fréquenta les habitants de la ville et visita les quartiers pauvres où il se sentait encore chez lui et où peu d'aristocrates osaient s'aventurer. 

César n'avait pas de fortune personnelle. Ses dettes, très élevées, étaient allégées par les dons généreux de Crassus en remerciement de son talent d'orateur public. Ses problèmes financiers furent toutefois réglés en 63, lorsqu'il fut élu pontifex maximus, "grand pontife de Rome". Ce titre inattendu lui apporta fortune, résidence officielle et prestige. 

L'homme politique rival de Crassus était Pompée. Tous deux furent élus consuls en 70 av. J.-C. Pompée, qui n'avait que trente-six ans, n'avait jamais assumé de magistrature. Selon les nouvelles lois de Sylla, il était trop jeune pour accéder à ce poste. À eux deux, ils abolirent une grande partie de la constitution de Sylla, annulant les pouvoirs attribués au Sénat pour les rendre au tribunat. Inévitablement, César, qui briguait à la fois la gloire militaire et de hauts postes politiques, décida d'unir sa destinée à celle de ces hommes influents. Il choisit donc de marier sa fille Julia à Pompée qui, aux dires de tous, était très amoureux d'elle. 

César n'aurait sans doute pas été élu une première fois consul en 59 avec le seul appui de Crassus. Mais avec Pompée à ses côtés, c'était inévitable. Les trois hommes s'entendirent sur une politique satisfaisante pour tous. Ainsi naquit le premier triumvirat dont César était le membre le moins important, situation qu'il n'allait pas tolérer bien longtemps. 


LE TRIUMVIRAT

Après l'abdication de Sylla, les premiers à briguer le consulat furent Marcus Aemilius Lepidus et Pompée le Grand. Lépide et Quintus Lutatius Catulus furent élus consuls en 78 av. J.-C. Lépide s'était présenté en dépit des sinistres avertissements de Sylla. Après la mort de ce dernier, Lépide commença à changer la constitution de Sylla dans de vastes régions de l'Italie. A la tête d'une puissante armée, il fut rapidement prêt à marcher sur Rome et dépouiller le Sénat de ses pouvoirs.

Pompée avait soutenu Lépide pendant les élections, mais il trouva l'occasion de prendre les armes contre lui au nom du Sénat. La rébellion fut de courte durée. Pompée accula Lépide et le battit près de Cosa. Lépide replia ses troupes en Sardaigne où il mourut peu après. Ses hommes rejoignirent Sertorius en Espagne et finirent par tomber entre les mains de Pompée en 72 av. J.-C. Alors que Pompée était retenu en Espagne, et que les légions romaines sous le commandement de Licinius Lucullus se couvraient de gloire en combattant Mithridate en Asie, Marcus Crassus en profita pour se faire remarquer. Lorsque Rome fut, une fois encore, paralysée par une révolte d'esclaves en 73 av. J.-C, ce fut Crassus qui mata les insurgés et leur fameux chef Spartacus, après une campagne de deux ans. Pour achever sa victoire totale, il fit crucifier six mille esclaves le long de la voie Appia, aux portes mêmes de Rome.

Pompée et Crassus étaient maintenant deux géants de la scène politique romaine. Chacun dirigeait des légions d'hommes et était très riche. Un conflit aurait abouti à des carnages et à des morts en grand nombre. Bien qu'ils eussent une aversion mutuelle, ils se côtoyaient et se courtisaient à tel point qu'ils furent élus tous deux consuls en 70 av. J.-C. Ce n'était pas un partenariat facile, et Pompée fut souvent absent de Rome.
Jules César
(Caius Julius Caesar) 
En 67 av. J.-C, il entreprit une campagne pour se débarrasser des nombreux pirates qui infestaient la côte silicienne. Puis, comme il était sur place, il prit la relève de Lucullus et vainquit Mithridate. Pompée récolta la gloire et fut considéré comme le plus grand général depuis Alexandre, même si c'était le travail de Lucullus qui avait permis cette victoire.Crassus
(Marcus Licinius Crassus Dives) 
Crassus et Jules César redoutaient son retour qui eut heu en 62 av. J.-C, car Pompée à lui seul possédait une fortune et un train de vie suffisants pour les faire tomber en disgrâce. Cependant, les sénateurs, imbus de leur propre importance, provoquèrent l'union improbable de ces trois hommes. En dépit des victoires qu'il avait remportées pour Rome, le Sénat, craignant un coup d'Etat, refusa de donner à Pompée des terres pour récompenser ses soldats. A la suite de quoi, Pompée, déçu, unit sa destinée à celle de Crassus et de César: ils formèrent le premier triumvirat en 60 av. J.-C, rempart contre l'intransigeant Sénat. 

Cneius Pompeius
dit le Grand Pompée 

LES TROIS CHEFS

Crassus possédait la fortune, César était aimé du peuple - il était à l'aise avec les gens simples dont Rome regorgeait-, mais Pompée avait peu à offrir au triumvirat si ce n'était son immense popularité auprès des légions. Même Cicéron, l'un de ses plus fanatiques partisans, disait de lui qu'il n'avait "rien de grand, rien d'éminent, rien qui ne soit bas et populaire".

Le triumvirat n'avait rien d'officiel. C'était une entente privée qui assurait à ses membres une entraide pour la conquête du pouvoir. Chacun agissait ostensiblement dans l'intérêt commun, mais en réalité, chacun travaillait à asseoir son propre pouvoir et à augmenter sa propre richesse. Le plus ambitieux d'entre eux était César qui, après sa première élection au consulat en 59 av. J.-C, agissait pour le triumvirat au sein du gouvernement.

Grâce à leur collaboration et aux services rendus par leurs clients et partisans, les triumvirs influencèrent l'appareil gouvernemental, en dépit des efforts du Sénat qui les contrariait à la moindre occasion. Leur politique gagna le soutien du peuple (plebs) : ils offraient des jeux publics gratuits et des rations de blé supplémentaires et les soldats de Pompée reçurent les terres qu'on leur avait promises. En guise de subventions, les membres du triumvirat prenaient des postes à l'étranger et en profitaient pour réapprovisionner leurs fonds. Ainsi, Pompée se rendit en Espagne, Crassus et ses forces choisirent la Syrie et César rechercha de nouvelles conquêtes en Gaule.

Mais la tension liée aux ambitions des membres de cette alliance devint rapidement intolérable. Des entretiens d'urgence, comme l'accord de Lucques, eurent lieu en 56 av. J.-C. afin d'éviter une crise plus violente. Le triumvirat fut avalisé en 55 av. J.-C. quand Pompée et Crassus furent à nouveau consuls. Mais en 54 av. J.-C, le lien qui unissait César à Pompée fut rompu par la mort de Julia. Aux dires de tous, Julia fut la femme que Pompée aima le plus. Un an plus tard, Crassus fut tué à la bataille de Carrhae (l'actuelle Harran) en Mésopotamie. Pompée et César se retrouvèrent face à face.

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